Accueil > Ecrits > Thérèse d’Avila

Thérèse d’Avila

Voici quelques morceaux choisis du Château intérieur ou les demeures (LCI) tirés des œuvres complètes parues chez DDB.

Le château intérieur ou les demeures

Je crois que je ne saurai guère dire plus que je ne l’ai déjà fait en d’autres choses qu’on m’a commandé d’écrire, je crains plutôt de toujours me répéter ; car je suis, à la lettre, comme les oiseaux à qui on apprend à parler : ils ne savent que ce qu’on leur enseigne ou ce qu’ils entendent, et le répètent souvent.
LCI p 869

Notre-Seigneur me fera déjà une grande grâce si cet écrit aide quelques-unes d’entre elles à le louer un petit peu plus.
LCI p 870

1. Aujourd’hui, comme je suppliais le Seigneur de parler à ma place, puisque je ne trouvais rien à dire, ni comment entamer cet acte d’obéissance, s’offrit à moi ce qui sera, dès le début, la base de cet écrit : considérer notre âme comme un château fait tout entier d’un seul diamant ou d’un très clair cristal, où il y a beaucoup de chambres, de même qu’il y a beaucoup de demeures au ciel. Car à bien y songer, mes sœurs, l’âme du juste n’est rien d’autre qu’un paradis où II dit trouver ses délices Donc, comment vous representez-vous la chambre ou un roi si puissant, si sage, si pur, si empli de tous les biens, se délecte ? Je ne vois rien qu’on puisse comparer à la grande beauté d’une âme et à sa vaste capacité. Vraiment, c’est à peine si notre intelligence, si aiguë soit-elle, peut arriver à le comprendre, de même quelle ne peut arriver à consi¬dérer Dieu, puisqu’il dit lui-même qu’il nous a créés à son image et à sa ressemblance. Or, s’il en est ainsi, et c’est un fait, nous n’avons aucune raison de nous fatiguer à chercher à comprendre la beauté de ce château ; il y a entre lui et Dieu la même différence qu’entre le Créateur et la créature, puisqu’il est sa créature ; il suffit donc que Sa Majesté dise que l’âme est faite à son image pour qu’il nous soit difficile de concevoir sa grande dignité et sa beauté.
2. Il est bien regrettable et confondant que, par notre faute, nous ne nous comprenions pas nous-mêmes, et ne sachions pas qui nous sommes. Celui à qui on demanderait, mes filles, qui il est, et qui ne se connaîtrait point, qui ne saurait pas qui fut son père, ni sa mère, ni son pays, ne prouverait il pas une grande ignorance ? Ce serait une grande bêtise, mais la nôtre est plus grande en comparaison, quand nous ne cherchons pas à savoir ce que nous sommes, nous bornant à notre corps, et, en gros, à savoir que nous avons une âme, parce que nous en avons entendu parler et que la foi nous le dit. Mais les biens que peut contenir cette âme, qui habite en cette âme, ou quel est son grand prix, nous n’y songeons que rarement ; c’est pourquoi on a si peu soin de lui conserver sa beauté. Nous faisons passer avant tout sa grossière sertissure, ou l’enceinte de ce château, qui est notre corps.
3. Considérons donc que ce château a, comme je l’ai dit, nombre de demeures, les unes en haut, les autres en bas, les autres sur les côtés ; et au centre, au milieu de toutes, se trouve la principale, où se passent les choses les plus secrètes entre Dieu et l’âme. Il faut que vous soyez attentives à cette comparaison ! Peut-être, par ce moyen, Dieu consentira-t-il à vous faire com¬prendre quelques-unes des faveurs que Dieu veut bien accorder aux âmes, et, dans la mesure du possible, les différences qu’il y a entre elles ; car personne ne peut les comprendre toutes, tant elles sont nombreuses : d’autant moins une misérable comme moi ! Si le Seigneur vous les accorde, vous aurez le grand réconfort de savoir que cela est possible ; sinon, vous louerez sa grande bonté. Car si la considération des choses qui sont au ciel, et dont jouissent les bienheureux, ne nous fait aucun tort et nous réjouit plutôt, de même, lorsque nous cherchons à obtenir ce dont ils jouissent, il ne peut nous nuire de voir qu’un si grand Dieu peut se communiquer en cet en cet exil à des vers de terre si malodorants, et d’aimer une bonté si bonne, une miséricorde si démesurée.
LCI p 871-872

Donc, pour revenir à notre bel et délicieux château, nous devons voir comment nous pourrons y pénétrer. J’ai l’air de dire une sottise : puisque ce château est l’âme, il est clair quelle n’a pas à y pénétrer, puisqu’il est elle-même ; tout comme il semblerait insensé de dire à quelqu’un d’entrer dans une pièce où il serait déjà. Mais vous devez comprendre qu’il y a bien des manières différentes d’y être ; de nombreuses âmes sont sur le chemin de ronde du château, où se tiennent ceux qui le gardent, peu leur importe de pénétrer à l’intérieur, elles ne savent pas ce qu’on trouve en un lieu si précieux, ni qui l’habite, ni les salles qu’il comporte. Vous avez sans doute déjà vu certains livres d’oraison conseiller à l’âme d’entrer en elle-même ; or, c’est précisément ce dont il s’agit.
Un homme fort docte me disait récemment que les âmes qui ne font pas oraison sont semblables à un corps paralysé ou perclus, qui bien qu’il ait des pieds et des mains, ne peut les commander ;
LCI p 873