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Lytta Basset

Lytta Basset

Les livres de Lytta Basset font une alliance intelligente de la théologie, de la philosophie et de la psychologie. Ce pasteur est professeur à la faculté de théologie de Neufchatel.

CULPABILITE, PARALYSIE DU COEUR
Labor et Fides - 2003

Bien des personnes excellent dans cet art de culpabiliser autrui pour exorciser leur propre culpabilité. Afin de ne pas être prises en faute, elles font des reproches préventifs à autrui, s’arrangeant – souvent inconsciemment – pour ne jamais se trouver en position de coupables.
Culp p 5

L’impuissance devant une souffrance injuste et incompréhensible est difficile à accepter. Nous cherchons immédiatement un moyen de réagir. Notre parade habituelle est de croire que nous avons fait quelque chose de mal qui expliquerait ce qui est arrivé. : si j’avais agi autrement, cela ne se serait pas passé, j’aurais pu l’empêcher. Ainsi étouffons nous plus ou moins efficacement le sentiment insupportable d’impuissance, quand le malheur font sur nous en bloquant toutes les issues.
Culp p 6

(Donné en 2007)
Il y a bien longtemps que le malheur des êtres proches – leur désespoir ; leur mutisme ; leur désunion – nous a plongés dans la culpabilité d’exister : ‘’je n’ai pas réussi à consoler mes parents de la mort de mon frère ou de ma sœur ; je me suis cru coupable du divorce de mes parents, du suicide de mon père, de ma mère, ou de l’accident de tel ou tel, ou de la dépression d’un de mes parents ; quand on me battait, je croyais réellement que j’étais mauvais-e car je sentais le malheur intérieur de celui ou celle qui me battait – comment lui en aurais-je voulu ? J’ai grandi avec le sentiment d’être de trop, coupable d’exister sans même le savoir’’. Les circonstances peuvent varier, la question reste la même : quelle blessure demeurée intacte se cache-t-elle sous la montagne de culpabilité qui m’écrase aujourd’hui ?
Culp p 7

(Donné en 2007)
La toute puissante culpabilité arrive à prendre la place du Dieu Unique…la culpabilité se présente sous un double visage : ou bien nous nous déclarons coupable, expliquant notre malheur par notre Faute sans laisser à Dieu aucun espace pour se prononcer ; ou bien nous nous justifions nous-mêmes, visant constamment une perfection censée nous protéger du sentiment de culpabilité, sans même soupçonner que Dieu puisse avoir un Autre regard sur nous. Dans les deux cas nous idolâtrons nos propres jugements en nous donnant l’illusion de la maîtrise.
Culp p 8

S’il était possible d’être ni plus ni moins que soi-même, libre face à l’Autre et aux autres, sans avoir besoin de se justifier ou de mériter, de se fustiger ou de se condamner ?
Culp p 8

Il semble que le sentiment de culpabilité et le perfectionnisme qui en est le revers ne sont pas connus de l’homme allongé : il ignore ce qui le paralyse. Il va être entraîné dans une ‘’dynamique’’ de guérison à mesure qu’il prendra conscience à la fois de son sentiment de culpabilité et de son perfectionnisme. Il s’apercevra progressivement qu’il avait relâché, laissé aller, congédié sa motricité et sa créativité…au lieu de relâcher, laisser aller, congédier sa culpabilité.
Culp p 21

Il s’agit d’admettre qu’on s’est enlisés dans la culpabilité parce qu’on voulait offrir une belle image de soi-même et qu’on y arrivait pas.
Culp p 23

Car renoncer à une vie régie par la culpabilité et le perfectionnisme est proprement vertigineux, tant est puissant le sentiment de basculer dans le néant. On dirait qu’on a rien à mettre à la place d’une auto accusation devenue constitutive de qui l’on est : si je ne suis plus coupable, plus occupé-e en permanence à bien faire , à me justifier et justifier mon existence, je me sens menacé-e d’anéantissement.
Culp p 25

(Donné en 2007)
Lorsque le malheur nous frappe, nous nous sentons moins impuissants si nous l’expliquons par notre culpabilité. Nous nous imaginons que nous aurions pu l’empêcher et cela nous donne un certain pouvoir.
Culp p 28

(Donné en 2007)
Vient le moment où nous renonçons à combler le gouffre de la culpabilité par un perfectionnisme pratique, moral ou religieux. Il nous a fallu lucidité et courage : lucidité pour reconnaître la stérilité de nos efforts, courage pour lâcher les béquilles et risquer le saut dans le vide. C’est à ce prix que nous entendons un fils d’humain – n’importe quel humain à la suite du Christ – nous dire Autre chose sur qui nous sommes… Dieu est tout Autre que la manière humaine, naturelle et spontanée de penser
Affronter le vide c’est alors ne plus savoir qui nous sommes…N’est-ce pas là, finalement, la seule et unique raison profonde qui conduira Jésus à la mort – avoir prétendu au nom du Dieu libre, que nous étions tous quittes de toute faute ? Pouvons-nous tolérer que Dieu nous prive de notre passe-temps favori, ou plutôt de ce qui nous parait donner sens à nos vies ?
Culp p 34

L’autorité de relâcher les fautes n’est pas réservée à Jésus, ni aux Juifs, ni au clergés ni aux chrétiens, ni même aux croyants, non, elle est donnée à tous les humains !
Culp p 37

Il faut bien avoir été dé-logé pour voir les choses autrement que dans l’univers clos de la culpabilité et du perfectionnisme.
Culp p 43
(Donné en 2007)
Si notre cœur nous accuse, Dieu est plus grand que notre cœur et il discerne tout (1 Jn 3 ,20). La parole biblique laisse entendre qu’on ne saurait se fier au sentiment de culpabilité, qu’on adopte avec Calvin et les anciens l’interprétation d’un Dieu bien plus sévère que ‘’notre cœur’’ ou qu’on adopte avec Luther et les modernes l’interprétation d’un Dieu bien plus miséricordieux que ‘’notre cœur’’. La modernité a franchi un pas de plus en découvrant dans la culpabilité un sentiment qui ne correspond pas nécessairement à une réalité…
Le péché est fondamentalement la rupture de la relation avec Dieu.
Culp p 49 – 50

Le christianisme n’a sans doute fait qu’utiliser un ressort humain indestructible et qui n’est relatif ni aux époques, ni aux sociétés. Ce ressort éminemment individuel semble à l’œuvre dans toutes les formes collectives qui tentent de la maîtriser. Ainsi, si l’on considère que le sentiment individuel de culpabilité peut s’inverser en accusation d’autrui, on décèlera dans tout rite de purification, tout système d’élimination du ou de la coupable par la sorcellerie, toute ordalie, toute recherche de bouc émissaire (qu’elle soit laïque ou religieuse) des tentatives d’éliminer une culpabilité inhérente aux individus composant la société en question.
Culp p 52

Une autre manière consiste à accuser autrui, à lui faire porter le poids de son propre sentiment de culpabilité. L’autojustification apparaît comme le moyen d’éviter la tension née du sentiment de culpabilité.
Culp p 60

(Donné en 2007)
La genèse du sentiment de culpabilité serait à chercher dans le désir de toute-puissance. Le point de départ de toute culpabilité résiderait dans l’impuissance du nourrisson…Les humains préfèrent se plaindre de leurs aspects névrotiques, en particulier de leurs sentiments de culpabilité, plutôt que de mettre un terme au fantasme selon lequel ils devraient ‘’normalement’’ être tout-puissants…
Il est incontestable que le désir de toute-puissance se mue rapidement en sentiment de culpabilité lorsqu’il ne parvient pas à se réaliser…comment l’enfant, ne pouvant pas se révolter sous peine de perdre l’amour de ses parents, convertit-il son impuissance et sa haine en sentiments de culpabilité ? …il semble qu’il soit déjà suffisant de souffrir de cet échec, de cette impuissance et de cette honte. Mais précisément, le sentiment de culpabilité ne vient pas se surajouter à ces expériences. Il s’y substitue. C’est apparemment pour échapper à la souffrance absurde et sans compensation des expériences d’échec, d’impuissance et de honte que l’humain développe un sentiment de culpabilité compensatoire : je suis coupable, donc tout s’explique, ce qui m’arrive de douloureux à un sens. Il faudrait donc chercher, derrière le désir de toute-puissance non satisfait, l’expérience réelle d’impuissance à laquelle le sujet a été confronté et qu’il a refusée ou n’a pas pu intégrer avec les sentiments négatifs qu’elle provoquait en lui. Il faudrait alors voir comment la culpabilité s’enracine dans l’impossibilité d’accepter l’impuissance douloureuse qui constitue l’une des premières expériences de toute vie.
Culp p 68

Si l’échec adulte s’accompagne du sentiment de faute, c’est sans doute qu’autrefois, l’enfant n’a jamais appris que tout désir a droit de cité en tant que désir. En outre, puisque l’essentiel du sentiment de culpabilité se vit dans l’inconscient qui est avant tout centré sur lui-même, on peut émettre l’hypothèse que le sentiment de faute naît principalement du renoncement à soi-même, à sa propre vie de désir. Il faudrait alors chercher derrière le sentiment de faute, lié à l’expérience adulte d’échec, le sentiment bien plus ancien d’être coupable envers soi-même de s’être laissé amputer d’une part essentielle de soi.
Culp p 70

(Donné en 2007)
On dira que l’accusation de soi et l’accusation d’autrui (l’autojustification) conduisent à la même autosuffisance : cette manière de se passer du regard de Dieu, de sa façon de voir les choses ou de son jugement, constitue la situation de péché par excellence. Dans les deux cas, l’instance de décision, la référence absolue est soi-même : je décide que je suis coupable, je décide que l’autre est coupable ; le jugement que je porte s’énonce en l’absence de toute relation.
La cécité la plus dangereuse du point de vue de la foi consiste à annexer Dieu et à confondre son regard avec le regard humain…
A une situation douloureuse de frustration, d’échec ou d’impuissance, la personne oppose ‘’l’explication’’ de la culpabilité, décidant souverainement du Bien et du Mal à la place de Dieu, ce qui lui permet de faire l’économie de la souffrance injuste et du mystère inexplicable, du mal et du malheur…
… l’enfermement dans la culpabilité est-il tel que la personne en arrive à ne plus voir le mal réel qu’elle fait aux autres, les fautes réelles dont elle est responsable ?...on peut parler d’un univers autarcique de la faute, créé par une accusation qui abolit la relation, le vis-à-vis, la responsabilité réelle envers l’autre/Autre.
Culp p 86

(Donné en 2007)
Ce qui est ‘’perdu’’ dans l’univers autarcique de la faute, c’est avant tout la foi en la communication. Paradoxalement, c’est pour échapper à la solitude, pour maintenir à tout prix la relation qu’on s’attribue la faute, et c’est précisément alors qu’on se ‘’perd’’ et qu’on ‘’perd’’ autrui.
Culp p 87

(Donné en 2007)
Le satan semble bien désigner ce pouvoir, en l’humain, de sécréter une accusation qui – aussi bien par la faute niée que par la faute fantasmée – abolit la relation, le vis-à-vis, le ‘’visage’’ de Dieu : à deux reprises, l’auteur de Job indique que, pour opérer, ‘’le satan sortit d’avec le visage de Dieu’’ (Jb 1, 12 et 2,7).
La notion biblique de satan fait donc bien apparaître que le péché dans son sens premier de rupture de relation avec Dieu s’enracine en deçà de la faute réelle, dans l’univers autarcique du sentiment de culpabilité. Insaisissable comme le serpent de la genèse, le satan est, en l’humain, ce qui le tente de s’enfermer dans le monde de la culpabilité-disculpation qu’il crée lui-même ou qui se crée en lui. il est, en Adam et Eve, ce qui les tente de soupçonner Dieu de méchanceté gratuite, c’est-à-dire de les avoir créés pour frapper d’interdit leur désir et les priver de la joie de vivre.
Culp p 88

(Donné en 2007)
Le sentiment de culpabilité conduit à une impasse. Renoncer à s’y fourvoyer, c’est faire face à ce ‘’quelque chose venu d’ailleurs’’ qui n’avait pas pu être évité, cette souffrance injustifiée que les sentiments de culpabilité avaient fini par recouvrir entièrement.
Or le propre de l’univers autarcique de la culpabilité-disculpation est d’empêcher la personne qui y est enfermée de voir le mal dont souffre l’autre. A plus forte raison de voir le mal dont souffre Dieu qu’elle ne voit pas ! en Jésus crucifié, Dieu dit de la manière la plus explicite qu’il est l’Autre de l’humain, lui aussi affecté par le mal, l’échec, la souffrance impuissante, mais se tenant libre hors de l’univers de la Faute. C’est en cela que consiste la sainteté de Dieu. Quand l’humain cède à la tentation de se couper de l’autre/Autre en l’enfermant dans la Faute ou en s’y enfermant lui-même, Dieu se tient résolument au dehors. ‘’c’est pourquoi le thème biblique du serpent, de Satan et même de la Colère de Dieu s’approche du thème du ‘’dieu méchant’’ sans jamais l’atteindre. La conquête de la sainteté de Dieu par les prophètes empêchait à tout jamais de coordonner l’Autre de la culpabilité humaine à la nature de Dieu’’ (Paul Ricœur).
Culp p 89

(Donné en 2007)
Il s’agira de renoncer à la maîtrise de la faute, donc du Bien et du Mal, et d’opter pour une quête de soi ou de la vérité de son être ‘’perdu’’ dans le dédale des sentiments de culpabilité et de disculpation. Cela devient possible quand on se laisse inspirer par un Dieu qu’on adore ‘’en Esprit et en vérité’’. En Esprit parce que ‘’l’Esprit souffle où il veut’’ et qu’il balaie les représentations caricaturales qu’on se fait de soi-même et de l’autre/Autre ; en vérité parce que la Vérité de Dieu, pas plus que la vérité de l’humain, ne se réduit au système explicatif de la culpabilité-accusation.
Culp p 90

Or il faut précisément la puissance de l’appel évangélique à ‘’perdre sa vie’’ pour se risquer à sortir de soi-même, c’est-à-dire du système de survie que représente ‘’l’explication’’ de la culpabilité.
Culp p 99