LES FRUITS DE L’ESPRIT
Lucien Laberthonnière - Aubier
« J’ai aimé de toute mon âme et je continuerai d’aimer jusqu’au bout l’idéal oratorien qui m’est toujours apparu et de plus en plus comme celui qui, par son esprit de générosité et de liberté, se rapprochait le plus de l’idéal chrétien ».
FE p 16
Je considère en effet que nous n’avons pas le droit socialement de nous soustraire à une loi parce qu’elle nous fait subir une injustice. Ce serait autre chose évidemment si elle nous commandait d’en commettre une.
FE p 17
Chaque génération, comme du reste chaque individu, est obligé de reprendre pour son compte les problèmes essentiels qui s’agitent inéluctablement dans la vie réelle de l’humanité.
FE p 18
« La vraie critique, …, est un examen de conscience intellectuel et moral. C’ est sur soi, sur sa manière d’être et de penser, sur ses intentions ultimes qu’on la fait porter. Elle est totalement distincte de la fausse critique par laquelle, content et sûr de soi, du haut de sa manière d’être et de sa manière de penser, on se fait juge de toutes choses, sans même soupçonner qu’il pourrait y avoir profit pour soi à changer de point de vue et qu’en tout cas ce serait faire acte de charité pour les autres ».
FE p 21
Je suis plus que jamais convaincu de la fécondité des renoncements et des ensevelissements ».
FE p 24
François converti et jetant sur le monde, je ne dirai pas un regard désenchanté, mais un regard désormais enchanté par la vision des choses de Dieu…
FE p 35
Sans jamais songer, si peu que ce soit, à porter atteinte ou à faire même explicitement une critique aux institutions qui l’entourent, il conçoit l’idée d’un apostolat qu’on peut dire essentiellement laïc.
FE p 36
Il n’est pas nécessaire de vendre des biens pour pratiquer la pauvreté, pour être pauvre en esprit ; il faut seulement s’en détacher, ne pas considérer que les posséder, c’est un droit aux jouissances. Il peut y avoir, en les gérant avec le souci de faire par eux œuvre de justice et de charité, un mérite incomparable. Mais ce qu’il faut dire, c’est qu’il n’y a pas de christianisme si l’on n’est pas détaché de cœur. De même en est-il des dignités, si on les garde non à cause des hommes ou des avantages qu’elles confèrent, mais à cause de la charge qu’elles comportent et des services qu’on rend. De même en est-il de la vie de famille. L’idée de Saint François d’Assise, c’est que tout cela peut et doit s’inspirer de l’esprit des conseils évangéliques, en regardant tout cela du point de vue de l’éternité pour, à travers tout cela, s’orienter vers l’éternité.
Et alors il a eu cette pensée de disciples vivant dans le monde, et extérieurement de la vie du monde, dans tous les rangs de la société, riches ou pauvres, savants ou ignorants, et par eux, montrant ce que c’est qu’être un propriétaire chrétien, un serviteur chrétien, un patron chrétien, un ouvrier chrétien, prolongeant par l’exemple, par la vie quotidienne, son apostolat…
FE p 39
Si le monde se convertit, c’est par l’exemple qu’il se convertira, ce n’est pas en entendant des paroles, si pleines de vérité soient-elles (et ces paroles-là, il en faut), c’est en voyant vivre, c’est en expérimentant la bienfaisance d’une foi vivante et agissante spirituellement…
FE p 40
Dieu, en nous créant, pour que nous fussions à son image, pour que nous participions réellement à sa vie divine, nous a faits, de telle sorte qu’avec son concours, avec sa grâce, il nous appartienne d’être les artisans de notre propre perfection, de notre propre bonheur. La perfection que nous pourrons atteindre, le bonheur dont au terme nous pourrons jouir sont aussi vraiment notre perfection, notre bonheur, puisqu’ils sont les résultats de nos efforts. Et cela est immensément grand. Une statue qui est belle, n’a de beauté que celle que le sculpteur lui a donnée, ce n’est pas sa beauté, elle n’en jouit pas. La beauté morale et la bonté à laquelle nous pouvons arriver sont une beauté et une bonté acquises par nous, c’est notre beauté et notre bonté. C’est nous-mêmes qui en devons être les artistes…
F E p 45
Mais elles sont comparables aux exercices qu’en temps de paix on fait faire à une armée…
Et de ce qu’on en peut mal user, ils n’en sont pas moins indispensables. Ils préparent à la lutte, ils mettent à même de l’affronter le jour où ce sera pour de bon qu’il faudra se battre, non plus contre un ennemi simulé, mais contre un ennemi réel…
Ce sont des exercices qui préparent, par lesquels si j’ose dire on s’aguerrit afin d’être mieux à même de montrer du courage et de la générosité dans la vie…
Dans la vie, la souffrance, la privation, la mortification et le sacrifice arrivent toujours sous une forme inattendue.
FE p 49
Nous avons toujours une tendance à perdre le sens de la vérité, même quand nous l’avons « comprise et sentie »,…Et cela pour cette raison que la vérité en nous a toujours des exigences nouvelles, que ce que l’on en a compris est une obligation de la mieux comprendre, que ce que l’on en a réalisé, ce que l’on en a introduit dans la pratique de sa vie, n’est toujours en ce monde que le commencement, l’ ébauche de ce que l’on a à faire, et que, en face de cet effort sans cesse à renouveler, qui cependant est la condition même de notre grandeur puisque par lui nous devons aller à l’infini, on se lasse, on s’arrête à ce qu’on est, à ce qu’on a fait.
FE p 52
Et la charité est à la portée de tout le monde, dans quelque condition, dans quelque situation qu’on se trouve, puisqu’elle consiste à se donner soi-même, ne serait-ce que par un geste de bienveillance, une parole, un regard, moins encore une simple intention, lorsqu’on ne peut faire plus.
FE p 57
La grande satisfaction du pharisien de l’Evangile, c’est visiblement de dire : « Je ne suis pas comme ce publicain ».
Voilà pourquoi dans le monde on se complaît tant à raconter ou à entendre raconter ce qui se fait de mal sous toutes les formes. Ceux qui le racontent ou qui l’entendent raconter s’imaginent que cela les réhabilite ou les justifie. On rapetisse les autres pour se hausser.
FE p 62
Par foi, j’entends donc ici cette démarche intérieure et cette habitude acquise par laquelle nous envisageons le monde et notre existence sous un certain aspect, par laquelle nous donnons un sens à notre vie extérieure, en croyant en Dieu, en un Dieu Père, en croyant en Jésus-Christ qui est né, a vécu et est mort pour nous et par qui nous avons accès à la vie éternelle.
Pour bien comprendre que cette attitude est nôtre, démarche et acte personnels, il faut se rappeler qu’une autre nous serait possible : nous pourrions ne pas croire à tout cela. Il y a des incrédules à côté de nous.
Croire au sens religieux, c’est donc donner un sens à sa vie, une portée et une valeur, en nous rattachant à quelque chose qui nous dépasse, qui est plus que nous, de qui nous dépendons…
Croire religieusement… c’est donner un sens à sa vie par une cause transcendante et une fin transcendante.
FE p 81
La foi est la foi vraie quand elle est une vertu qui nous transforme foncièrement le cœur, un retournement de nous-mêmes.
FE p82
Mais comment a-t-on la foi, l’acquiert-on et l’accroît-on ? On dit : c’est un don. Mot qui a l’air de supposer une prédestination, un privilège.
Oui un don. Tout est don de ce que nous sommes et avons. Mais il nous faut tout acquérir, tout cultiver pour le conserver.
FE p 82
L’objet de notre espérance, c’est la vie même de Dieu à laquelle nous sommes appelés à travers notre mort même, vie de justice, vie de bonté…
FE p 86
« Les lointains d’autrefois deviennent des voisinages ». Dieu n’est pas loin de nous. Nous n’en sommes loin que par le cœur. Que le cœur se retourne et Dieu sera là, vu, senti, goûté.
FE p 87
Vaincre le monde, c’est, à travers ce que l’Ecriture appelle sa « figure », figure mobile et fuyante, qui sans cesse nous échappe malgré les efforts que nous faisons pour la saisir, croire aux réalités éternelles qui ne passent pas. C’est aussi et surtout peut-être, à travers les triomphes de l’injustice en ce monde, croire à une bonté essentielle contre laquelle rien ne saurait prévaloir.
Je vous ai expliqué en second lieu comment, par l’espérance entendue chrétiennement, malgré la fragilité et la caducité de notre vie ici-bas, malgré les maux qui nous assaillent, malgré la mort qui semble nous anéantir, malgré le sentiment de notre misère et de notre impuissance, nous pouvions et nous devions nous établir dans la confiance que nous sommes faits pour les réalités éternelles, que nous n’avons pas seulement à concevoir qu’il existe une bonté essentielle, mais qu’il nous appartient en la pratiquant de réaliser une vie éternelle.
Par la foi nous affirmons Dieu, sa justice et sa bonté ; par l’espérance nous tendons vers lui, nous l’appelons, l’attendons, de sorte qu’avec lui ni l’être ni la vie ne nous manqueront et que rien de vraiment mal ne peut nous arriver.
FE p 89
Sans doute, il y a lieu de distinguer la foi, l’espérance et la charité. Mais ce ne sont pas trois choses séparées et juxtaposées, ce sont les moments d’un même acte, les moments d’une même vertu, les étapes d’une même vie…
Mais, d’autre part, il apparaît bien aussi que croire en Dieu, c’est vouloir qu’il soit, désirer qu’il soit…
On ne l’affirme donc, on n’y croit que parce que l’ayant conçue on l’aime, et on se propose de servir cette bonté…
Espérer en Dieu, c’est aspirer vers lui, tendre vers lui, se réfugier en lui. Mais on n’aspire que vers ce qu’on aime, on ne tend qu’à ce qu’on aime…
Ce qu’il faut dire, c’est que la foi et l’espérance sont la charité commençante. Elles sont la charité, telle que nous pouvons l’avoir ici-bas où le travail de transformation que nous avons à opérer sur nous-mêmes… n’est jamais achevé…
Au terme la charité, c’est l’union parfaite avec Dieu…
C’est en aimant du mieux que nous pouvons, que nous nous rendrons capables d’aimer parfaitement.
Au terme nous devons devenir charité, comme il est dit que Dieu est charité. C’est l’œuvre de notre vie de réaliser cette transformation. Et en attendant nous avons à soulever le poids du monde et de ses apparences, le poids de notre chair et de notre égoïsme. Voilà pourquoi la charité est toujours, ici-bas, unie à la foi et l’espérance.
Mais la foi et l’espérance sont destinées à disparaître, comme l’enseigne Saint Paul, parce qu’elles ne sont que la charité imparfaite, tandis que la charité une fois achevée ne périra pas.
C’est que par la charité, nous serons semblables à Dieu, nous serons des dieux, nous serons vraiment les fils de Dieu, les frères du Christ, nous entrerons dans la circumincession de la vie divine, nous serons des membres de la Trinité
FE p 90
La charité ce n’est pas donner ce qu’on a en trop. L’aumône des riches aux pauvres. Cela n’est rien. La charité serait ainsi une vertu de luxe permise à quelques-uns. Non, elle est la vertu offerte à tout homme. Vouloir les autres en eux-mêmes pour qu’ils aillent à Dieu. Le pauvre a bien des occasions d’avoir pitié des misères du riche, de ses illusions…
Être charitable, ce n’est pas donner ce qu’on a, ou du moins donner ce qu’on a n’est rien si par là et en même temps on ne se donne pas soi-même.
FE p 93
Pas de vie chrétienne, pas de vie même humaine sans recueillement, sans ce que Saint Bernard appelait la considération. Rentrer en soi-même, se mettre en face de soi-même et pour autant en face de Dieu, car on ne saurait faire l’un sans l’autre : il suffit de se tourner vers soi-même pour immédiatement se sentir enveloppé d’un infini qui nous pénètre et nous déborde, qu’on sache le nommer ou non.
A quelque degré qu’on fasse cela, on contemple, on regarde au delà et au-dessus de sa vie. Peu importe le temps qu’on y consacre.
Et tout homme qui fait cela et qui le fait pour participer à l’infini qui est en lui est amené à sentir son insuffisance, et le besoin d’un secours pour être ce qu’il doit être ou ce qu’il veut être.
FE p 96
Dieu n’a pas besoin que nous lui fassions connaître ce qui nous manque. Il le sait mieux que nous…
Et puis, ce qu’il faut bien retenir surtout, c’est que nous n’avons rien à lui apprendre…
Dieu n’est en rien semblable à un potentat qui ne jouit de sa puissance qu’autant qu’autour de lui il y a des gens qui se prosternent devant lui, et qui distribue ses bienfaits d’après les sollicitations qui lui sont adressées…
Ce n’est pas pour éclairer Dieu que nous avons à prier, mais pour nous éclairer nous-mêmes…
Le salut n’est que cela : aimer Dieu. Dieu commence par nous aimer. Il nous aime le premier, dit Saint Jean…
Justement parce qu’il nous aime, il ne nous prend pas de force, comme on prend une chose…
Mais de notre côté, nous n’avons pas non plus à le prendre, à le conquérir comme on prend et on conquiert une chose. Nous avons à l’accueillir, à le recevoir…
Et alors lui exposer nos besoins c’est pour nous en prendre conscience, c’est nous les avouer, c’est en face de Dieu sentir que sans lui nous ne sommes rien, et accepter l’offre qu’il nous fait de lui-même…
Par la prière ce n’est pas Dieu que nous travaillons, ce n’est pas Dieu que nous modifions, c’est nous, avec le concours de Dieu. Je dirais volontiers : par la prière ce n’est pas Dieu qui répond à notre appel, comme s’il avait besoin d’être appelé, c’est nous qui répondons à l’appel de Dieu…
Par elle nous nous transformons. Et jamais personne n’a prié sincèrement sans éprouver qu’il se dépassait lui-même, qu’il se rapprochait de Dieu, qu’il réalisait cette similitude avec Dieu, qui est tout ce que nous avons à faire ici-bas. Prier, c’est apaiser ses passions, c’est éliminer ses rancunes ou ses haines, c’est dominer ses ignorances, c’est surmonter ses souffrances, c’est puiser la force et la lumière à leur source.
FE p 99
A) L’adoration, qui doit se faire en esprit et en vérité, consiste non pas en hommages au sens extérieur, non pas en sacrifices, en dons de ceci ou de cela, comme les sacrifices de l’ancienne loi et comme les offrandes. Ce que Dieu attend, c’est le don de nous-mêmes, par lequel nous devenons semblables à lui. La véritable adoration, c’est, comme il est dit dans l’Evangile, de devenir parfaits comme notre Père céleste est parfait…
…l’aimer c’est travailler à lui ressembler, à être avec lui, à être de lui. La prière d’adoration a pour objet la bonté de Dieu en tant qu’elle est participable, en tant qu’elle est imitable par nous et que nous avons le devoir d’y participer et de l’imiter…
B) La prière de demande se présente comme ayant pour objet ce que nous appelons nos besoins…
C’est de notre destinée, de l’ « unique nécessaire » qu’il s’agit…
Prier Dieu, c’est chercher en lui la lumière et la force qui nous fera surmonter notre ignorance et notre égoïsme…
En définitive, cela revient à dire qu’il n’y a qu’une manière vraie de prier, c’est répondant à l’appel de Dieu nous tourner vers lui,…, armé en quelque sorte de l’aspiration qu’il met en nous à être et à vivre infiniment, le chercher, l’accueillir, le recevoir, devenir des fils dans la famille divine…
FE p 102
« Ce qui caractérise l’homme, dit Bérulle, c’est qu’au lieu d’être créé tel qu’il doit être, il est seulement doué de puissances et inclinations singulières, desquelles, par succession de temps, il tire lui-même sa perfection en soi-même ». (Traité des énergumènes, ch. I,5).
Dans ces conditions, rien de plus important que d’entretenir en nous, que d’aviver le sentiment de notre responsabilité. Dieu nous a remis aux mains de notre conseil. On peut être impuissant à produire des actes extérieurs. Extérieurement tous les moyens peuvent nous manquer. Les moyens ne nous manquent jamais d’avoir une bonne intention. C’est de nos intentions seules que nous répondrons. Mais nos intentions ne sont pas bonnes spontanément. Il faut s’apprendre à en concevoir de bonnes.
Et des intentions qui se contenteraient d’être des intentions ne seraient plus de vraies intentions. Pour être telles, il faut qu’elles visent à se réaliser, il faut qu’elles deviennent principe agissant, principe effectif d’actions réellement bonnes ; il faut que par elles la vérité et la bonté s’introduisent dans notre vie, et que nous devenions chacun pour notre compte des organes de vérité, des organes de bonté…
FE p108
Dieu ne se substitue pas à nous, pour nous faire être sans nous ce que nous devons être. Il se prête à nous, se donne à nous, pour qu’avec lui nous croissions en lui en le faisant croître en nous. Mais de telle sorte que cela est toujours notre œuvre en même temps que c’est sa grâce.
FE p 110
L’enfant est un égocentrisme…
Mais quand il a perçu ou moins nettement que telle chose est mal et telle bien, dans la mesure où il obéit à sa conscience qui lui dit d’éviter l’une et de faire l’autre, sa puissance de discernement s’accroît, la lumière grandit en lui. Il se pose la question au sujet d’actes pour lesquels il ne se l’était pas posée, son champ visuel s’élargit et se prolonge. Les conséquences qui résultent de sa manière d’agir sont une occasion perpétuelle de réfléchir.
Ainsi en est-il de chacun de nous, jusqu’au bout, toujours enfants en ce monde.
FE p113
Comment généralement arrivons-nous à nous dégager d’une erreur…
Rien n’est plus fructueux que l’examen de conscience…
C’est donc cette intention qui est le vrai ressort du progrès…
(Saint Augustin). (Si j’avais à recommencer, je ferais autrement)…
FE p 113
Non, jamais Dieu ne prend notre place. Après avoir prié Dieu, nous pouvons encore nous tromper, mais nous sommes mis en disposition de surmonter l’erreur.
La prière n’est pas un moyen de capter Dieu et de le mettre à notre service, de le subordonner à nous…
FE p 114
Quand Jésus-Christ nous dit : « Soyez parfaits » il ne s’agit évidemment pas d’être parfaits au degré où le Père céleste est parfait. Infinité par laquelle il existe en lui-même et par lui-même, indépendance métaphysique, se suffisant pour être et pour vivre…
Dieu par sa bonté, générosité, nous faisant exister en nous-mêmes, nous nous appartenons. En conséquence, par une charité semblable à la sienne, nous pouvons le vouloir comme il nous veut et vouloir avec lui les autres comme il les veut…
Être parfaits, c’est donc aimer Dieu librement et avec lui et en lui et pour lui aimer librement les autres.
FE 118
Vivre…, la vie chrétienne, c’est donc quelque chose de plus que de la pratiquer extérieurement,… C’est s’inspirer d’un esprit, être animé d’une intention qui vivifie tout……être vraiment chrétien dans sa vie…c’est en insérant au cœur de notre être une intention qui nous transforme, qui fasse de nous intérieurement des collaborateurs de Dieu,…Etre le sel, le ferment…
FE p 123
Certes oui, faire ce qu’on peut pour se suffire dans l’ordre matériel. Mais dire à son frère ses besoins, provoquer sa charité, c’est être charitable envers lui, sans exigence, mais avec simplicité.
Ne pas s’asservir, être reconnaissant, mais pas esclave. Celui qui donne doit oublier, non celui qui reçoit…
En recevant comme en donnant, il s’agit de se donner soi-même.
FE p 125
Chez combien de gens il y a encore cette idée qu’ils sont d’une essence supérieure aux autres, et que c’est à ce titre qu’ils ont à commander…
Mais enfin, il faut qu’il y en ait qui commandent ; alors comment ?
Jamais pour eux-mêmes ; mais en se partageant les tâches…
Il ne faut jamais commander pour commander, sans autre raison que son autorité –être prêt à justifier ce qu’on commande…
FE p 127
Quiconque veut être bon, de la bonté du Christ, le peut en toutes circonstances.
Mais en toute circonstance aussi, « l’homme charnel » est à combattre pour que s’y substitue « l’homme spirituel ».
FE p 130
L’idée dominante dans le monde, c’est que contre toute injustice il n’y a qu’à se défendre…
L’irritation provoque l’irritation. L’injustice provoque l’injustice. Un soufflet donné provoque le soufflet rendu.
Que de fois il arrive que pour une injure minime, on se juge en droit, ou même on se fait un devoir d’écraser si l’on peut l’auteur de l’injure.
C’est un cercle d’enfer …comment sortir de ce cercle d’enfer ?
Ce n’est pas en se réclamant de la justice, c’est en pratiquant la charité, la générosité, c’est en consentant à subir des injustices sans s’en irriter, sans entreprendre de les rendre ni même d’en exiger la réparation.
Non point par lâcheté, non point par abandon, mais par don.
FE p 132
L’idée d’un temps consacré à Dieu, à côté d’un temps qui n’y est pas consacré, l’idée qu’ayant vécu en pensant à Dieu pendant huit jours ou un mois, on est dispensé d’y penser le reste du temps - une coupure dans la vie - (une cure comme une saison d’eaux). Faire des parts dans la vie…
Les retraites comme celles que vous faites…ont ceci de caractéristique, de nous laisser dans les conditions ordinaires où nous vivons. Elles supposent d’une façon catégorique que la vie chrétienne, la perfection évangélique, est compatible avec les occupations du monde, que pour trouver son âme et Dieu, que pour mettre Dieu dans sa vie, il n’est pas nécessaire de se séparer de ce qui compose la vie.
Navigateurs qui, tout en marchant, en maniant le gouvernail, font le point, pour voir où ils en sont, s’orienter, rectifier.
Ce n’est pas par moments seulement que nous avons à être chrétiens, à vivre par Dieu et pour Dieu, comme si le reste du temps avait à être consacré aux choses terrestres indépendamment de lui. C’est d’un bout à l’autre de notre existence…
L’idée de retraite c’est l’idée d’un temps consacré spécialement à la réflexion, au retour sur soi, pour, une fois rentré en soi, s’ouvrir à Dieu, accueillir Dieu. Mais cela est de mise chaque jour, à chaque heure. On y consacre plus de temps un moment afin que, par l’habitude acquise, on puisse le faire en moins de temps…
Un rythme a deux mouvements inverses comme dans la vie organique. Dans la vie organique le cœur attire le sang à lui, puis le pousse et le répand dans les membres…
…chacun de ces mouvements doit régulièrement comporter un progrès…
Et comme la vie spirituelle n’est pas une vie qui s’ajoute à la vie ordinaire, qui s’y juxtapose ou qui s’y superpose, mais une vie qui doit la pénétrer, l’animer, l’éclairer, la transformer, c’est à les mener de front qu’il faut toujours s’appliquer…
…je définirais volontiers une retraite en disant que ce soit être un effort pour mettre Dieu dans sa vie de tous les jours…
FE p 140
En ce monde, nous ne sommes jamais établis dans la foi. La foi n’est pas un état, une manière d’être stable ; elle est mouvement, montée vers Dieu, elle vit ou elle est morte, c’est-à-dire n’est pas…
Dieu est toujours en nous, présent à tous les êtres, mais au point de départ c’est une présence subie, imposée (nous sommes sans l’avoir ni su ni voulu). Il s’agit de transformer cette présence subie en présence acceptée…
Avec la foi nous sommes libérés : nous voulons être ce que nous sommes, à savoir des êtres qui sont par Dieu.
La foi est un oui répondu à Dieu. Et ce oui est en nous comme un fiat créateur.
A la parole créatrice de Dieu : que l’homme soit, nous répondons : que Dieu soit. Cela ne fait pas exister Dieu en lui-même ni non plus en nous, en tant que notre existence nous est donnée. Mais cela le fait exister en nous, en tant que nous voulons être librement.
Voilà comment la foi qui est l’acte de liberté suprême, est aussi l’acte de libération suprême. Elle constitue notre divinisation.
Croire c’est dire oui à Dieu. Travaillons à dire un oui de plus en plus décidé, de plus en plus profond.
FE p 148
Prier, c’est s’ouvrir et se préparer, c’est collaborer avec Dieu pour devenir ce que Dieu veut que nous devenions.
FE p 152
Je sens deux hommes en moi – charnel, spirituel. Mais pas deux entités séparées, pas deux individus. L’homme spirituel en obligation dans le charnel. Celui-ci doit devenir celui-là. Deux pôles opposés entre lesquels il nous faut opter –et nous optons à travers des méprises, des hésitations, des lâchetés, des actes de cour.
FE p 154
Tout le paganisme, toute l’idolâtrie, n’est que cela. Pas de religion où l’on ne prie… mais c’est pour obtenir qu’un désir, qu’une passion soit satisfaits, qu’une victoire soit remportée, sans s’inquiéter si la cause est juste ou ne l’est pas…
Pour vivre dans le temps et y réaliser bonheur, prospérité, les individus comme les peuples se sentent impuissants. De là l’appel à un secours. Mais il ne s’agit pas de devenir meilleur, il s’agit de consolider dans l’existence terrestre, d’y triompher.
Prier Dieu en lui confiant nos desseins, nos aspirations, lui demander un soulagement dans nos maux, nos malheurs, mais de telle sorte que nous nous préparions à ce qui arrivera…
Prier ainsi c’est toujours obtenir ce qu’on demande, parce que c’est du spirituel…
FE p 157
Dieu nous aime pour nous, il est un Père qui nous veut pour nous, non un maître qui nous écrase pour exercer sa maîtrise. Et si nous avons péché, à cause de notre péché, Dieu ne veut ni notre souffrance ni notre mort. A quoi cela l’avancerait-il ?…
FE p 162
Simplifier sa vie… Ecarter de sa vie ce qu’on y met pour paraître.
FE p 164
La croissance spirituelle s’opère en se nourrissant de Dieu…volonté de bonté, volonté de justice.
La volonté de Dieu, qui est l’amour de Dieu, enveloppe tous les hommes – pas d’acception de personne.
Vouloir Dieu, aimer Dieu, c’est vouloir et aimer ce que Dieu aime. C’est s’associer à lui pour faire son œuvre qui devient notre œuvre.
En vivant de la foi, nous l’enfantons en nous –passage de la sujétion à l’acceptation- transformation de la présence imposée en présence consentie, voulue, aimée…
FE p 165
Une croyance religieuse, dont on vit, est une croyance par laquelle on donne de la valeur à sa vie, et on ne donne par elle de la valeur à sa vie qu’en la considérant comme donnant à toute vie sa valeur.
Outre qu’on ne peut pas la garder pour soi, et que, si on vit, nécessairement elle apparaît dans les actes qu’on accomplit dans les paroles et les gestes, -on ne doit pas la garder pour soi.
Lorsqu’un homme après avoir cherché, lutté, souffert, prié, a trouvé ou croit avoir trouvé un mot libérateur, son devoir est de le faire entendre à ses semblables…
Quiconque vit de la foi, n’en vit vraiment que s’il accepte courageusement d’avoir à la confesser, à la faire connaître par ses actes, ses paroles, son attitude, sa conduite. Il est responsable de Dieu en ce monde, responsable de Dieu dans les âmes.
Ayant en lui la lumière, il doit souffrir de voir ou de sentir les autres dans l’erreur, dans le doute, dans l’ignorance…
Chrétiens, nous sommes tenus de répandre le christianisme, de faire briller aux yeux de tous la lumière ineffable de l’Evangile.
Chacun selon son âge, sa situation, ses moyens, ses fonctions, peut avoir à le faire de façon fort différente, personne n’en est dispensé.
Et je ne connais rien de plus stimulant que le sentiment de cette responsabilité, rien aussi de plus agrandissant –toujours l’idée grandiose de la collaboration avec Dieu…
La folie de la prédication, disait Saint Paul. Je complèterais en disant la folie de la générosité.
Faire comme Dieu : Dieu se propose, il ne s’impose pas. Il ne veut que se faire accepter. Faire accepter Dieu autour de nous, quel rôle magnifique !…
FE p 169
C’est par amour pour nous que Dieu nous fait exister…
Et une fois venus à l’existence, quand nous prenons conscience de nous-mêmes, et que, par le fait même, nous sentons notre petitesse, notre fragilité, notre misère à tous égards, le besoin incoercible d’être plus et d’être meilleurs que nous ne sommes –car c’est là ce qui fait le fond de toute conscience humaine- ce n’est rien moins que Dieu présent en nous et agissant en nous qui nous appelle, qui nous dit déjà : « Venez à Moi. Je suis celui que vous cherchez, dont vous avez besoin ».
Il nous aime le premier…
Si Dieu ne nous appelle que comme dans le lointain et sans dévoiler sa face, c’est afin que…le don qu’il nous fait de lui-même devienne quelque chose que nous avons gagné…Il se donne à nous comme un père qui met ses fils en mesure de devenir librement d’autres lui-même…Il fait en sorte que nous ayons à le créer en nous. En sorte que c’est comme nôtre que nous l’aimons ».
Cela compris, nous ne saurions nous plaindre des duretés de la vie.
Pensons à quoi nous allons à travers les épreuves, les souffrances, les misères de ce monde. A travers tout cela, à nous façonner pour être capables d’aimer Dieu comme il nous aime.
FE p 172
L’amour de Dieu est un amour de volonté.
Les vrais moment où on aime Dieu, où l’on s’avance dans l’amour de Dieu, ne sont pas ceux où l’imagination nous entraîne, où nos nerfs sont ébranlés, non, ce sont ceux où, à travers une atonie physique, nous avons du courage moral.
Ce n’est pas du tout que l’amour de Dieu ne comporte pas de joie qui stimule. Elle comporte au contraire une joie de fond, qui a pour caractère d’être stable ; en sorte que par elle au lieu d’avoir des hauts et des bas, on suit uniformément la voie qui monte –ardent, certes, mais d’une ardeur qui, étant dans l’âme et non dans les nerfs, est une ardeur qui se possède. On trouve ainsi que Dieu est bon d’une bonté qui ne passe pas, stable.
L’amour de Dieu ainsi entendu, c’est la charité.
On revient à Dieu, on retrouve tout. Rien n’est perdu.
Les autres prennent en Dieu une réalité qu’ils n’avaient pas –on les voit par le dedans- on les aime par ce qu’ils doivent être au-dessus de ce qu’ils sont.
C’est la communion.
FE p 174
Je suis la voie, la vérité et la vie…(Jn 14,6)
La victoire par laquelle nous vainquons le monde, c’est notre foi. Cette victoire consiste essentiellement en ceci que, malgré les apparences contraires qui nous en détournent, malgré le désordre, malgré le mal, malgré les injustices qui règnent dans le monde, nous croyons à la justice, malgré la fugitivité de notre existence et malgré la mort nous croyons à la vie, à une vie éternelle.
Mais comment cette foi se réalise-t-elle en nous ? Pour nous faire comprendre le rôle qu’il joue par rapport à nous à cet égard, le Christ a dit : « Je suis la voie, la vérité et la vie »…
Sans Jésus-Christ, nous ne saurions aller à Dieu ni connaître Dieu ni vivre de la vie de Dieu. Et c’est pourquoi, pour tout vrai chrétien, le Christ est l’alpha et l’oméga, le principe, le moyen et la fin de son existence.
FE p 191
Ce que nous réclamons du fond de nous-mêmes, c’est un Dieu vers qui nous allons parce qu’il est venu vers nous, parce qu’il s’est penché sur nous.
Pour dire oui à l’existence, un oui cordial, il faut que nous croyions que l’intention qui y a présidé et qui y préside est une intention de bonté à notre égard.
Or, c’est là ce que Jésus-Christ est venu nous apprendre.
FE p 195
Comment Jésus-Christ se présente-t-il à nous à travers l’Evangile ? Comme l’envoyé de l’amour de Dieu, ou plutôt comme l’amour même de Dieu présent et agissant parmi nous, en nous, en chacun de nous, et en faisant l’œuvre de Dieu, comme Dieu, faisant aussi œuvre d’homme, comme homme, afin de nous amener avec lui à rejoindre l’œuvre de Dieu.
L’essentiel ce de qu’il nous révèle par ce qu’il a fait, par sa vie, par sa mort, encore plus que par ce qu’il a dit, c’est que Dieu pour nous est un Père, dont pour devenir réellement, efficacement les fils, nous avons à reconnaître librement la paternité ; un Père qui, pour nous rendre dignes de lui et nous faire participer à l’universalité de son amour…nous fait exister par bonté, par générosité, par don de lui-même, par don de son être et de sa vie pour nous faire être et nous faire vivre ; en sorte que s’il nous crée, s’il nous maintient dans l’existence ce n’est pas pour lui,… c’est pour nous.
FE p 195
Dieu est charité… nous sommes les fils de la charité qu’il est. La création par laquelle nous existons est le grand miracle de la charité divine.
Mais si Jésus-Christ nous révèle cela, il fait beaucoup plus que nous le révéler. Il n’est pas seulement un prophète qui dit, qui parle, qui annonce. Il ne nous apprend pas seulement que Dieu est notre Père. C’est par son intermédiaire que Dieu en nous créant fait de nous des fils. Fils du Dieu vivant en se faisant homme, en se faisant l’un de nous, solidaire de l’humanité tout entière, il s’est fait notre frère, afin qu’étant ses frères nous soyons avec lui fils de Dieu.
Par lui Dieu est venu à nous. Il est la voie par laquelle il se communique à nous. Et aussi c’est par lui, en marchant sur ses traces, que nous avons à aller à Dieu. Voie de Dieu venant vers nous, il est la voie de nous devant aller à Dieu.
Par le fait même il est la vérité qui éclaire tout homme venant en ce monde, en nous révélant à la fois par son enseignement et par sa vie, par ses paroles et par ses actes, ce que Dieu est pour nous et ce que nous devons en conséquence vouloir être pour lui. Et il n’est pas une vérité qui tomberait en nous d’en haut et qui nous serait étrangère. Non, il est, dans toute la force du terme, notre vérité, la vérité par laquelle en connaissant Dieu nous nous connaissons nous-mêmes, nous savons quelle est notre origine et quelle est notre fin.
Et enfin il est la vie en laquelle est greffée notre vie et où elle puise sa sève pour devenir la vraie vie. Je suis le cep, a-t-il dit, vous les branches. Toute branche séparée du tronc meurt…
De même que par charité Dieu s’est fait homme en se donnant à nous, il nous a donné le pouvoir de nous faire Dieu par charité. Car l’idée première du christianisme, c’est que ce que le Christ est par nature, nous sommes appelés à l’être par grâce…
Ce que Dieu nous donne, il faut l’acquérir…
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Pour moi certes, la vie c’est le Christ et mourir représente un gain. Phil., I, 21.
Et si je vis, ce n’est plus moi mais le Christ qui vit en moi. Galate., II, 20.
Nul autant que Saint Paul n’a dit avec autant de force et autant de netteté la place que le Christ a à la fois dans la vie de l’humanité et dans la vie de chacun de nous. C’est par lui que Dieu vient à nous, se donne à nous. Et c’est par lui que nous avons à aller à Dieu et nous donner à Dieu…par son humanité il est l’amour de l’humanité à l’œuvre dans la vie même de Dieu. Par lui Dieu se fait l’un de nous pour que par lui et avec lui nous nous fassions Dieu.
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