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Le milieu divin

Ce petit livre voudrait apprendre à voir Dieu partout : le voir au plus secret, au plus consistant, au plus définitif du monde. Ce que renferment et proposent ces pages, c’est donc uniquement une attitude pratique, - une éducation des yeux.
Le monde au cours de toute ma vie, par toute ma vie, s’est peu à peu allumé, enflammé à mes yeux, jusqu’à devenir autour de moi, entièrement lumineux par le dedans…

Introduction
Nous écouterons Saint-Paul dire aux gens de l’aréopage ‘’Dieu a fait l’homme pour que celui-ci le trouve, - Dieu que nous cherchons à saisir par le tâtonnement de nos vies, - ce dieu est aussi répandu et tangible qu’une atmosphère où nous serions baignés. Il nous enveloppe de partout, comme le Monde lui-même. Que vous manque-t-il donc pour que vous puissiez l’étreindre ? Une seule chose : le voir.’’
Ce petit livre voudrait apprendre à voir Dieu partout : le voir au plus secret, au plus consistant, au plus définitif du monde. Ce que renferment et proposent ces pages, c’est donc uniquement une attitude pratique, - une éducation des yeux.
Le monde au cours de toute ma vie, par toute ma vie, s’est peu à peu allumé, enflammé à mes yeux, jusqu’à devenir autour de moi, entièrement lumineux par le dedans…
Si vous savez … apercevoir cette magnificence, vous oublierez… vos craintes en face de la Terre qui monte : « Plus grand encore Seigneur ! toujours plus grand soit votre Univers et élargi, afin que, par un contact sans cesse intensifié et élargi, je vous tienne et sois tenu par Vous ! »
La marche que nous suivrons dans notre exposé sera toute simple. Puisque, dans le champ de l’expérience, l’existence de chaque homme se divise adéquatement en deux parts : ce qu’il fait et ce qu’il subit, nous envisageront tour à tour le domaine de nos activités et celui de nos passivités. Pour chacun nous constaterons, tout d’abord que Dieu, suivant sa promesse, nous attend vraiment dans les choses, à moins qu’il n’y vienne à notre rencontre. Ensuite nous admirerons comment par la manifestation de sa sublime Présence… les deux moitiés de notre vie (et par conséquent la totalité de notre monde) s’étant montrées pleines de Dieu, il ne nous restera plus qu’à …respirer pleinement.
M D p 25-26

-  1 La divinisation des activités
Comment, en vertu de ce qu’il y a de plus chrétien en lui, le fidèle peut aller à la totalité de son devoir humain, du même cœur que s’il allait vers Dieu
MD p34
Il y a moyen de concilier, puis d’alimenter, l’un par l’autre, l’amour de Dieu et le sain amour du monde, l’effort de détachement et l’effort de développement.
MD p35

Plus je m’analyse, plus je découvre cette vérité psychologique que nul homme ne lève le petit doigt pour le moindre ouvrage sans être mû par la conviction, plus ou moins obscure, qu’il travaille infinitésimalement pour l’édification de quelque définitif, c’est-à-dire, à l’œuvre de Vous-même, mon Dieu… ceci est une loi fondamentale de leur action. Il ne faut rien moins que l’attrait de ce qu’on appelle l’Absolu… pour mettre en branle la frêle liberté que vous nous avez donnée. Dés lors, tout ce qui diminue ma foi explicite en la valeur céleste des résultats de mon effort, dégrade, sans remède, ma puissance d’agir.
Montrez à tous vos fidèles, Seigneur, comment, dans un sens réel et plein, « leurs œuvres les suivent ». Faute de cela, ils seront comme ces ouvriers paresseux que ne talonne pas une tâche.
MD p41

Notre être spirituel s’alimente continuellement aux énergies innombrables du Monde tangible. Ce qu’il faut, c’est voir, - voir les choses comme elles sont, réellement et intensément.
Il nous faut, si nous voulons vivre la plénitude de notre humanité et de notre christianisme, surmonter cette insensibilité.
Faisons, il en vaut la peine, l’exercice salutaire qui consiste à suivre…les prolongements de notre être à travers le Monde. Nous demeurerons stupéfaits en constatant l’extension et l’intimité de nos relations avec l’Univers.
Les racines de notre être ? Mais elles plongent d’abord au plus insondable passé. Quel mystère que celui des premières cellules qu’a sur animées un jour le souffle de notre âme !.. Par la Matière, en chacun de nous, c’est partiellement l’histoire entière du Monde qui se répercute…
Regardons autour de nous : les vagues viennent de partout et du fond de l’horizon. Par toutes les issues, le sensible nous inonde de ses richesses : aliment pour "le corps et nourriture pour les yeux…
M D p 46

Ce résumé, cette synthèse nous sont pas donnés tout fait, tout achevés, avec le premier éveil de la conscience. C’est nous, par notre activité, qui devons en rassembler industrieusement les éléments partout disséminés. Le travail de l’algue qui concentre dans ses tissus les substances répandues, à doses infinitésimales, dans les nappes immenses de l’Océan, - l’industrie de l’abeille qui forme son miel des sucs éparpillés en tant de fleurs, - ne sont qu’une pâle image de l’élaboration continuelle que subissent en nous, pour devenir esprit, toutes les puissances de l’Univers.
Ainsi chaque homme … doit construire une œuvre où entre quelque chose de tous les éléments de la Terre. Il se fait son âme… et en même temps il collabore à une autre œuvre : l’achèvement du monde. Car il ne faut pas oublier cela non plus… le monde lui aussi, subit une sorte de vaste ontogenèse. Sous nos efforts de spiritualisation individuels, il accumule lentement, à partir de toute matière, ce qui fera de lui la Jérusalem Céleste ou la Terre nouvelle.
M D p 47- 48

Nous nous imaginions peut-être que la Création est depuis longtemps finie. Erreur, elle se poursuit de plus belle… Et c’est à l’achever que nous servons par le travail le plus humble de nos mains… En vertu de l’interliaison Matière-Ame-Christ, quoi que nous fassions… par chacune de nos œuvres, nous travaillons, atomiquement mais réellement, à apporter au Christ un peu d’achèvement.
Chacune de nos œuvres… concourt à parfaire le Christ… Dans l’action, d’abord, j’adhère à la puissance créatrice de Dieu : je coïncide avec elle ; j’en deviens non seulement l’instrument, mais le prolongement vivant.. je me confonds, en quelque manière, par mon cœur, avec le cœur même de Dieu. Ce contact est perpétuel, puisque j’agis toujours.
MD p 50-51

Dieu ne distrait pas notre regard du travail puisqu’il se présente à nous comme attingible par ce travail même… puisque l’intimité de notre union à lui est justement fonction de l’achèvement précis que nous donnerons à la moindre de nos œuvres.
Exerçons-nous à satiété sur cette vérité fondamentale jusqu’à ce qu’elle nous devienne aussi familière que la perception du relief ou la lecture des mots. Dieu, dans ce qu’il a de plus vivant et de plus incarné, n’est pas loin de nous hors de la sphère tangible, mais Il nous attend à chaque instant dans l’action, dans l’œuvre du moment. Il est, en quelque manière, au bout de ma plume, de mon pic, de mon pinceau, de mon aiguille- de mon cœur, de ma pensée. C’est en poussant jusqu’à son dernier fini naturel le trait, le coup, le point auquel je suis occupé, que je saisirai le But dernier auquel tend mon vouloir profond
M D p 54

Répétons-le : en vertu de la Création, et, plus encore de l’Incarnation, rien n’est profane, ici-bas, à qui sait voir. Tout est sacré, au contraire…
Reconnaissez, Dieu aidant, la connexion, même physique et naturelle, qui relie votre labeur à l’édification du Royaume Céleste, voyez le Ciel lui-même vous sourire et vous attirer à travers vos œuvres.
M D p 56

Qu’est-ce qu’être sainte pour une créature, sinon adhérer à Dieu au maximum de ses puissances… remplir la fonction exacte, à laquelle elle est destinée.
MD p 57

Le chrétien se reconnaît comme fonction de diviniser le Monde en Jésus-Christ… Pour lui l’intérêt est vraiment dans les choses… La lumière céleste se fait tangible et attingible pour lui dans le cristal des êtres.
MD p 66

-  2 La divinisation des passivités

Les passivités forment la moitié de l’existence humaine. Cette expression veut dire ce qui n’est pas agi, en nous est subi. En fait les deux parts active et passive, de nos vies sont extraordinairement inégales. Dans nos perspectives la première occupe la première place, parce qu’elle est plus agréable et plus perceptible. Mais dans la réalité des choses, la deuxième est, sans mesure, la plus étendue et la plus profonde.
Les passivités, d’abord, accompagnent sans cesse nos opérations, soutenant, ou contrecarrant nos efforts… nous n’émergeons dans la réflexion et la liberté que par la fine pointe de nous-mêmes. Nous nous connaissons et nous nous dirigeons, mais dans un rayon incroyablement faible. Immédiatement au delà commence une nuit impénétrable, tout ce qui est en nous et autour de nous , sans nous et malgré nous.
Au milieu des énergies confuses qui peuplent cette nuit mouvante, notre seule apparition détermine immédiatement la formation de deux groupes qui nous abordent, et qui demandent à être traités suivant des modes bien différents. D’un côté les forces amies et favorables qui soutiennent notre effort et nous dirigent vers le succès : ce sont les passivités de croissance. De l’autre, les puissances ennemies qui interfèrent péniblement avec nos tendances, alourdissent ou détournent notre marche vers le plu-être, réduisent nos capacités réelles ou apparentes de développement : ce sont les passivités de diminution.
MD p 73-74

Pénétrons au plus secret de nous-mêmes…Cherchons à percevoir l’océan de forces subies où est comme trempée notre croissance… j’ai pris la lampe, et quittant la zone, claire de mes occupations et de mes relations journalières, je suis descendu au plus intime de moi-même… il y avait sous mes pieds un abîme sans fond d’où sortait… le flot que j’ose appeler ma vie.
Quelle science pourra-t-elle jamais révéler à l’Homme, l’origine, la nature, le régime de la puissante consciente de vouloir et d’aimer dont est faite sa vie ? Ce n’est pas notre effort, bien sûr, ni l’effort de personne autour de nous, qui a lancé ce courant…Nous n’arrivons ni en pensée, ni en pratique, à capter les sources de la Vie. Je me reçois bien plus que je ne me fais… En dernier ressort la vie profonde, la vie fontale, la vie naissante nous échappent absolument…
Notre esprit… vacille quand nous cherchons à dénombrer les chances favorables dont la confluence fait, à chaque instant, la conservation et la réussite du moindre des vivants. Après la conscience d’être un autre, et un plus grand que moi, une seconde chose m’a donné le vertige : c’est la suprême improbabilité, la formidable invraisemblance de me trouver, existant, au sein d’un Monde réussi.
A ce moment… j’ai senti planer sur moi la détresse essentielle de l’atome perdu dans l’Univers… Et si quelque chose m’a sauvé, c’est d’entendre la voix évangélique, garantie par des succès divins, qui me disait du plus profond de la nuit : « c’est moi, ne craignez pas ».
Oui mon Dieu je le crois et je le croirai d’autant plus volontiers qu’il n’y va pas seulement de mon apaisement , mais de mon achèvement : c’est Vous qui êtes à l’origine de l’élan, et au terme de l’attraction dont je ne fais pas autre chose ma vie durant que de suivre ou favoriser l’impulsion première et les développements…
Dans la vie qui sourd en moi, et dans cette Matière qui me supporte je trouve mieux encore que vos dons : c’est Vous-mêmes que je rencontre, vous qui me faites participer à votre être, et qui me pétrissez. Vraiment, dans la régulation… de la force vitale, dans le jeu favorablement continue des causes secondes, je touche les deux faces de votre action créatrice, je rencontre et je baise vos deux merveilleuses mains : celle qui saisit si profondément qu’elle se confond, en nous, avec les sources de la Vie, et celle qui… sous la moindre de ses pressions, tous les ressorts de l’univers se plient harmonieusement. Par leur nature même, ces bienheureuses passivités que sont pour moi, la volonté d’être, le goût d’être tel ou tel, et l’opportunité de me réaliser à mon goût, m’apparaîtra plus distinctement, bientôt, comme l’énergie organisatrice du Corps mystique…
Le goût sacré de l’être … ne me l’enlevez pas… Vous dont la sagesse aimante me forme à partir de toutes les forces et de tous les hasards de la Terre, donnez moi d’ébaucher un geste.. faites que, après avoir désiré, je croie ardemment, je croie sur toutes choses votre active Présence…
Je collaborerai à votre action prévenante… doublement. A votre inspiration… qui me commande d’être, je repondrai par le soin à ne jamais étouffer, ni dévier, ni gaspiller ma puissance d’aimer et de faire. Et à votre Providence enveloppante… qui m’indique… le pas suivant à faire.. je m’attacherai par le souci de ne pas manquer aucune occasion de monter vers l’esprit.
Chacune de nos vies est comme tressées de ces deux fils : le fil du développement intérieur, suivant lequel se forment graduellement nos idées, affections… et le fil de la réussite extérieure, suivant lequel nous nous trouvons, à chaque moment, au point précis où convergera, pour produire sur nous l’effet attendu de Dieu, l’ensemble des forces de l’Univers… Mon Dieu… faites que je ne rompe jamais ce double fil de ma vie.
MD p 75 - 80

Que Dieu soit saisissable dans et par toute vie : ceci nous paraît facile à comprendre. Mais Dieu peut il se trouver aussi dans et par toute mort ? Voilà qui nous déconcerte. Et voilà pourtant ce qu’il faut arriver à reconnaître d’une vue habituelle et pratique, sous peine de rester aveugle à ce qu’il y a de plus spécifiquement chrétien dans les perspectives chrétiennes, et sous peine d’échapper au contact divin par une des faces les plus étendues et les réceptives de notre vie.
MD p 81
Les passivités de diminution externes, ce sont toutes nos mauvaises chances… Voici la barrière qui arrête, ou la muraille qui borne. Voici le caillou qui fait dévier ou l’obstacle qui brise. Voici le microbe ou le mot imperceptible par qui le corps est tué ou l’esprit infecté. Incidents, accidents… que d’interférences douloureuses (gênes, chocs, amputations, morts…)
Les passivités de diminutions internes forment le résidu le plus noir, et le plus désespérément inutilisables de nos années. Les unes nous ont guettés et saisis à notre premier éveil : défauts naturels, infériorités physiques, intellectuelles ou morales, par qui s’est trouvé impitoyablement limité, dés la naissance et pour toute la vie, le champ de notre activité, de nos jouissances, de notre vision.
MD p 82 - 83
Si nous évitons plus ou moins complètement, par chance, les formes critiques de qui ces invasions qui viennent, au fond de nous-mêmes, tuer irrésistiblement la force, la lumière ou l’amour dont nous vivons, il est une altération, lente et essentielle, à laquelle nous ne saurions échapper : l’âge, la vieillesse, qui d’instant en instant, nous enlèvent à nous-mêmes pour nous pousser vers la fin. Durée qui retarde la possession, durée qui arrache à la jouissance, durée qui fait de nous tous ces condamnés à mort, formidable passivité que l’écoulement de la durée…
Surmontons la mort, en y découvrant Dieu. Et le divin se retrouvera, du même coup, installé au cœur de nous-mêmes, dans le dernier recoin qui semblait pouvoir lui échapper… Le Christ a vaincu la mort, non seulement en réprimant ses méfaits, mais en retournant son aiguillon. Par la vertu de la Résurrection, plus rien ne tue nécessairement, mais tout est capable de devenir, sur nos vies, le béni contact des mains divines.
MD p 83-84

Demandons nous comment, et à quelles conditions, nos morts apparentes, c’est-à-dire les déchets de nos existences, peuvent être intégrées dans l’établissement, autour de nous, du Règne et du Milieu divins… deux temps dans le processus qui aboutit à la transfiguration de nos amoindrissements. Le premier … est celui de la lutte contre le mal. Le deuxième, celui de la défaite et de la transfiguration.
La lutte avec Dieu contre le mal.
Lorsque le chrétien souffre… il faut dire, pour commencer : « Dieu désire me libérer de cet amoindrissement, Dieu veut que je l’aide à éloigner de moi ce calice ». Lutter contre le mal, réduire au minimun le mal ( même simplement physique) qui nous menace- tel est indubitablement le premier geste de notre Père qui est aux cieux… Oui c’est une vue exacte – et une vue strictement évangélique – des choses, que de se représenter la Providence comme attentive, au cours des âges à épargner les blessures du Monde, et à panser ses plaies. C’est vraiment Dieu qui suscite, le long des siècles, conformément au rythme général du progrès, les grands bienfaiteurs et les grands médecins. C’est lui qui anime, même chez les plus incroyants, la recherche de tout ce qui soulage et de tout ce qui guérit.
A la première approche des diminutions, nous ne saurions trouver Dieu autrement qu’en détestant ce qui fond sur nous, et en faisant notre possible pour l’esquiver. Plus nous repousserons la souffrance, à ce moment, de tout notre cœur et de tout nos bras, plus nous adhérerons, alors au cœur et à l’action de Dieu. (Note : Sans révolte et sans amertume bien sûr, mais avec une tendance anticipée à l’accueil… la nécessité de ce stade de résistance au mal est évidente… L’échec consécutif à la paresse, la maladie contractée par imprudence injustifiée, etc. ne sauraient passer pour personne, comme étant immédiatement la volonté de Dieu.)
MD p 86
Avec Dieu comme allié, nous sommes assurés de toujours sauver notre âme. Mais rien de nous garantit, nous le savons trop bien, que nous éviterons toujours la douleur, ni même certains échecs…Tous en tout cas, nous vieillissons et tous nous mourrons.
Le problème du mal, c’est-à-dire la conciliation de nos déchéances, même simplement physiques, avec la bonté et la puissance créatrices, restera toujours, pour nos esprits et nos cœurs, un des mystères les plus troublants de l’Univers…
D’un côté l’œuvre, entreprise par Dieu, pour s’unir intimement des êtres créés, supposer chez ceux-ci une lente préparation, au cours de laquelle, ils ne peuvent échapper, par nature aux risques qu’entraîne l’imparfaite organisation du Multiple en eux…
Dieu ne peut pas, en vertu même de ses perfections, faire que les éléments d’un monde en voie de croissance…échappent aux heurts et aux diminutions…
Dieu, pourvu que nous nous fions amoureusement à lui, sans écarter de nous les morts partielles, ni la mort finale, qui font essentiellement partie de notre vie, les transfigure en les intégrant dans un plan meilleur… Pour les chercheurs de Dieu, tout n’est pas immédiatement bon, mais tout est susceptible de la devenir : « tout est converti en bien ».
MD p 89

La Providence convertit, pour ses croyants, le mal en Bien. Tantôt, l’échec que nous aurons subi dérivera notre activité sur des objets ou vers un cadre plus favorables…dont le nouveau bonheur surpassa l’ancien. – D’autres fois, et plus souvent, la perte qui nous afflige nous forcera à chercher dans un domaine moins matériel… L’histoire de tous les personnages remarquable… est pleine de ces cas où nous voyons l’homme sortir agrandi, trempé, renouvelé, d’une épreuve, ou même d’une chute, qui paraissaient devoir le diminuer ou l’abattre pour toujours. L’insuccès joue alors le rôle du gouvernail de profondeur pour l’avion, ou encore, si l’on préfère, du sécateur pour la plante.
MD p 91

Mais il est des cas… où notre sagesse est complètement déconcertée… : disparitions prématurées, accidents stupides, affaiblissements portant sur les zones les plus hautes de l’être. Sous de pareils coups, l’Homme ne se relève dans aucune direction appréciable… Comment se peut il que ces réductions… sans compensation, qui sont la Mort… deviennent pour nous un bien ?
Déjà Dieu avait transfiguré nos souffrances en les faisant servir à notre achèvement… Entre ses mains, les forces diminuantes étaient devenues… l’instrument qui taille, sculpte, polit en nous, la pierre destinée à tenir un lieu précis dans la Jérusalem céleste. Il va faire mieux encore… les évènements qui ne se manifeste … dans notre vie que comme de purs déchets vont devenir un facteur immédiat de l’union que nous rêvons d’établir avec Lui.
Le grand triomphe du Créateur… c’est d’avoir transformé en facteur essentiel de vivification ce qui en soi est une puissance d’amoindrissement et de disparition…
La Mort est chargée de pratiquer, jusqu’au fond de nous-mêmes, l’ouverture… Elle nous mettra dans l’état organique requis pour que fonde sur nous le feu divin.
MD p 93

Faites, mon heure étant venue, que je vous reconnaisse sous les espèces de chaque puissance, étrangère ou ennemie, qui semblera vouloir me détruire… à la minute douloureuse où je prendrai tout à coup conscience que je suis malade ou que je deviens vieux … absolument passif aux mains des forces inconnues qui m’ont formé ; à toutes ces heures sombres, donnez moi mon Dieu de comprendre que c’est vous… qui écartez les fibres de mon être pour pénétrer jusqu’aux moelles de ma substance, pour m’emporter avec vous…
Plus l’avenir s’ouvre devant moi comme une crevasse vertigineuse ou un passage obscur, plus, si je m’y aventure sur votre parole, je puis avoir confiance en Vous, d’être assimilé par votre Corps, Jésus… Ce n’est pas assez que je meure en communiant. Apprenez moi à communier en mourant.
MD p 95

J’admets fondamentalement que l’achèvement du monde ne se consomme qu’à travers une mort, une « nuit », un retournement… L’union au Christ suppose … que nous reportions en Lui le centre ultime de notre existence… Il faut … que je croisse en Lui, non seulement par les restrictions … et les arrachements … de la souffrance, mais encore par tout ce que mon existence comporte d’effort positif, de perfectionnement naturel.
L’effort chrétien complet consiste … en trois choses :
1 collaborer passionnément à l’Effort humain, avec la conscience que… nous travaillons à l’achèvement du Plérôme…
2 puiser, dans ce labeur pénible… une première espèce de victoire sur l’égoïsme étroit et paresseux.
3 chérir parallèlement aux pleins de la vie, ses vides… par où le Christ transforme directement… en Soi la personnalité que nous avons cherché à développer pour Lui.
MD p 101

2 Vues d’ensemble sur l’ascétique chrétienne

L’effort humain jusqu’en ces domaines inexactement appelés profanes, doit prendre, dans la vie chrétienne, la place d’une opération sainte et unissante. Il est la collaboration, tremblante d’amour, que nous prêtons aux mains divines occupées à nous parer et à nous préparer (nous et Le Monde) pour l’union finale.
MD p 109

Ne s’est-il pas déjà quitté, en même temps qu’il prenait possession de lui-même, celui qui n’a cherché, en conquérant la Terre, qu’à soumettre un peu plus de Matière à l’Esprit ? Et celui-là aussi qui, se refusant… au moindre effort, à la possession paresseuse des choses et des idées, s’est avancé courageusement sur la voie du travail, du renouvellement intérieur, de l’élargissement et de la sublimation sans trêve de son idéal ? Et celui-là encore, qui, pour un plus grand que lui…a donné son temps, sa santé ou sa vie ?
MD p 109

Vers les sommets, embrumés pour nos yeux humains, où nous convie le Crucifix, nous nous élevons par un sentier qui est la voie du Progrès universel. La voie royale de la Croix, c’est tout justement le chemin de l’effort humain, surnaturellement rectifié et prolongé – Pour avoir entendu pleinement le sens de la croix, nous ne risquons plus de trouver que la vie est triste et laide.
En somme, Jésus, sur sa Croix, est le symbole et la réalité, tout ensemble, de l’immense labeur séculaire qui, peu à peu, élève l’esprit créé, pour le ramener dans les profondeurs du Milieu Divin. Il représente la création qui, soutenue par Dieu, remonte les pentes de l’être.
MD p 119

La puissance spirituelle de la matière
Qu’il nous soit permis…de venger et d’exalter celle que le Seigneur est venu revêtir, sauver et consacrer, la sainte matière. La Matière…nous cherchons ici à l’embrasser toute entière…nous la prenons avec sa pleine exubérance…La Matière, ce sera donc pour nous, l’ensemble des choses, des énergies, des créatures qui nous environnent, dans la mesure où celles-ci se présentent à nous comme palpables, sensibles, ‘’naturelles’’ (au sens théologique du mot). Ce sera le milieu commun, universel, tangible, infiniment mouvant et varié, au sein duquel nous vivons plongés…
La Matière, d’une part, c’est le fardeau, la chaîne, la douleur…C’est ce qui alourdit, c’est ce qui souffre, ce qui blesse, ce qui tente, ce qui vieillit… Qui nous délivrera de ce corps de mort ?
Mais la Matière, en même temps, c’est l’allégresse physique, le contact exaltant, l’effort virilisant, la joie de grandir. C’est ce qui attire, ce qui renouvelle, ce qui unit, ce qui fleurit. Par la matière, nous sommes alimentés, soulevés, reliés au reste, envahis par la vie. En être dépouillés nous est intolérable. 2 Cor 5.4 ‘’nous ne voulons pas nous dévêtir mais revêtir’’. Qui nous donnera un corps immortel …
Que seraient nos esprits, mon Dieu, s’ils n’avaient le pain des objets terrestres pour les nourrir, le vin des beautés créées pour les enivrer, l’exercice des luttes humaines pour les fortifier ?...
Seigneur…dans le simple geste concret de votre immersion rédemptrice, faites-nous entendre le mystère caché, ici encore, dans les entrailles de la Mort. Par la vertu de votre douloureuse Incarnation, découvrez-nous, puis apprenez-nous à capter jalousement pour Vous, la puissance spirituelle de la matière.
MD p 123

Matière fascinante et forte, matière qui caresses et qui virilises, Matière qui enrichis et qui détruis – confiant aux influences célestes qui ont embaumé et purifié tes eaux – je m’abandonne à tes nappes puissantes. La vertu du Christ a passé en toi. Par tes attraits, entraîne-moi, par ta sève, nourris-moi. Par ta résistance, durcis-moi. Par tes arrachements, libère-moi. Par tout toi-même, enfin, divinise-moi.
MD p 129

-  3 Le milieu divin

‘’Personne ne vit ni ne meurt pour soi seul. Mais, soit par notre vie, soit par notre mort, nous appartenons au Christ’’ Rom 14 3-4
Partout autour de nous, à gauche et à droite, en arrière et en avant, au-dessous et au-dessus, il a suffi de dépasser un peu la zone des apparences sensibles pour voir sourdre et transparaître le Divin. Ce n’est pas simplement en face de nous, auprès de nous, que s’est révélée la divine Présence. Elle a jailli si universellement, nous nous en trouvons tellement entourés et transpercés, qu’il ne nous reste même plus la place de tomber à genoux, fût-ce au fond de nous-mêmes.
A la faveur de toutes les créatures sans exception, le Divin nous assiège, nous pénètre, nous pétrit. Nous le pensions lointain, Inaccessible : nous vivons plongés dans ses nappes ardentes. « In eo vivimus... » En vérité, comme disait Jacob, au sortir de son rêve, le monde, ce Monde palpable, où nous portions l’ennui et l’irrespect réservés aux endroits profanes est un lieu sacré, et nous ne le savions pas ? « Venite, adoremus. » (venez, adorons)
M D p 134

(Le milieu divin) Immense comme le Monde, et redoutable bien plus que les plus immenses énergies de l’Univers, il possède néanmoins, à un degré suprême, la concentration et la précision qui font le charme et la chaleur des personnes humaines...
Incomparablement proche et tangible, puisqu’il fait pression sur nous par toutes les forces de l’Univers, il se dérobe pourtant si constamment à notre étreinte que nous ne pouvons jamais le saisir ici-bas qu’en nous haussant, soulevés par son flot même, à la limite de notre effort : présent et attirant au fond inaccessible de chaque créature, il se retire toujours plus loin, nous entraînant avec lui vers le centre commun de toute consommation (j’atteins Dieu en ceux que j’aime dans la mesure où, eux et moi, nous nous spiritualisons de plus en plus).
Par lui le contact de la Matière purifie…
En lui…la mort devient une résurrection.
Dieu ne se découvre partout, sous nos tâtonnements, comme un milieu universel, que parce qu’il est le point ultime où convergent toutes les réalités. Chaque élément du Monde, quel qu’il soit, ne subsiste, hic et nunc, qu’à la manière d’un cône dont les génératrices se noueraient…en Dieu qui les attire…
MD p 136

Les émerveillements que nous réserve, inépuisablement, le Milieu Divin.
Le Milieu divin a, avant tout, le pouvoir absolu et dernier de réunir (et par suite d’achever) les êtres au sein de lui-même. Dans le Milieu Divin, tous les éléments de l’Univers se touchent par ce qu’ils ont de plus intérieur et de plus définitif. Ils y concentrent peu à peu…ce qu’ils ont de plus pur et de plus attrayant. Ils y perdent, en se rencontrant, l’extériorité mutuelle et les incohérences qui sont la peine fondamentale des relations humaines.
Laissons la surface. Et, sans quitter le Monde, enfonçons-nous en Dieu. Là et de là, en lui et par lui, nous tiendrons tout…Toutes les fleurs et les lumières que nous aurons dû abandonner pour être fidèles à la vie, un jour, nous retrouverons là leur essence et leur éclat. Les êtres que nous désespérions d’atteindre et d’influencer, ils sont là, tous réunis par la pointe la plus vulnérable, la plus réceptive, la plus enrichissante de leur substance. En ce lieu, le moindre de nos désirs et de nos efforts est recueilli, conservé.
MD p 138

Etablissons-nous dans le Milieu Divin, Nous nous y trouverons au plus intime des âmes, et au plus consistant de la Matière. Nous y découvrirons, avec la confluence de toutes les beautés, le point ultra-vif, le point ultra-sensible, le point ultra-actif de l’Univers. Et, en même temps, nous éprouverons que s’ordonne sans effort, au fond de nous-mêmes, la plénitude de nos forces d’action et d’adoration.
MD p 138

Le Créateur, et …le Rédempteur, se sont immergés et dilatés dans les choses au point que, suivant l’expression de saint Angèle de Foligno, ‘’le monde est plein de Dieu’’. Mais cet agrandissement n’a de valeur… qu’autant que la lumière, dont tout lui parait baigné, rayonne à partir d’un foyer historique, et est transmis le long d’un axe traditionnel solidement précis. L’immense enchantement du Milieu Divin doit en définitive toute sa valeur concrète au contact humano-divin qui s’est révélé dans l’Epiphanie de Jésus. Supprimée la réalité historique du Christ, l’omniprésence divine …devient incertaine, vague….
Si éblouissants soient les accroissements…leur charme et leur étoffe de réalité demeureront toujours suspendus à la vérité palpable et contrôlable de l’événement évangélique. Le Christ universel, de saint Paul ne peut avoir de sens, ni de prix à nos yeux que comme une expansion du Christ né de Marie et mort en croix. De Celui-ci, celui-là tire essentiellement sa qualité fondamentale d’être incontestable et concret. Aussi loin qu’on se laisse entraîner dans les espaces divins ouverts à la mystique chrétienne, on ne sort pas du Jésus de l’Evangile. On éprouve au contraire un besoin grandissant de s’envelopper, toujours plus solidement, de sa vérité humaine.
MD p 141

Procédons graduellement dans la recherche qui doit justifier à nos yeux cette prodigieuse identification entre le Fils de l’homme et le Milieu Divin…Dieu nous enveloppe et nous pénètre en nous créant et en nous conservant.
Allons un peu plus loin. Sous quelle forme, dans quel but, le Créateur nous a-t-il fait, …le don de l’être participé ? Sous la forme d’une aspiration essentielle vers lui, - en vue de l’adhésion inespérée qui doit nous faire une même chose complexe avec Lui…
Avançons encore…le mystérieux plérôme, où l’Un substantiel et le Multiple créé qui se rejoignent sans confusion dans une Totalité qui, sans rien ajouter d’essentiel à Dieu, sera néanmoins une sorte de triomphe et de généralisation de l’être.
Nous touchons enfin au but. Quel est le Centre actif, le Lien vivant, l’Ame organisatrice du Plérôme…c’est Celui en qui tout se réunit et tout se consomme, - Celui de qui tout l’édifice crée tient sa consistance, - le Christ mort et ressuscité.
Joignons maintenant le premier et le dernier terme de cette longue série d’identités. L’Omniprésence divine, devons-nous reconnaître en un éclair de joie, se traduit, dans notre Univers, par le réseau des forces organisatrices du Christ total ; Dieu ne fait pression, en nous et sur nous, par l’intermédiaires de toutes les puissances du Ciel, de la Terre, de l’Enfer, que dans l’acte de former et de consommer le Christ sauvant et suranimant le Monde.
MD p 149

Le Milieu Divin prend pour nous le parfum et les traits définis que nous désirions. Nous y reconnaissons une omniprésence qui agit sur nous en nous assimilant à soi, in unitate Corporis Christi. L’immensité divine, par suite de l’Incarnation, s’est transformée pour nous en omniprésence de christification ‘’Tout ce que je puis faire de bon’’ est recueilli …dans la réalité du Christ…Tout ce que j’endure, avec foi et amour, de diminution et de mort, me fait un peu plus intimement parcelle intégrante de son Corps mystique. C’est le christ que nous faisons ou que nous subissons en toutes choses.
MD p 150
La couche humaine de la Terre est, entièrement et perpétuellement, sous l’influx organisateur du Christ incarné…Le monde humain comment se présente-t-il dans la structure de l’Univers ? Il apparait comme une zone de transformation spirituelle continue, où toutes les réalités viennent se sublimer en sensations, sentiments, idées, puissances de connaître et d’aimer.
MD p 152

J’en suis bien sûr, maintenant. Ni la Vie, dont les progrès augmentent la prise que vous avez sur moi ; ni la Mort qui me jette entre vos mains ; ni les Puissances spirituelles, bonnes ou mauvaises, qui sont vos instruments vivants ; ni les énergies de la Matière, ou vous vous êtes plongé ; ni les irréversibles flots de la Durée, dont vous contrôlez, en dernier ressort, le rythme et l’écoulement ; ni les insondables profondeurs de l’Espace, qui mesurent votre Grandeur…rien de tout cela ne pourra me séparer de votre amour puisque tout cela n’est que le voile, les ‘’espèces’’ sous lesquelles vous me prenez pour que je puisse vous prendre…
O Seigneur quelle est la plus précieuse de ces deux béatitudes : que toutes choses me soient un contact avec Vous ou que vous soyez si ‘’universel’’ que je puisse vous subir et vous saisir en toute créature ?
MD p 156

Le grand mystère du Christianisme, ce n’est pas exactement l’Apparition, mais la Transparence de Dieu dans l’Univers.
M D p 162

Nous voici donc conduits à placer, à l’origine de notre envahissement par le Milieu Divin, une intense et continuelle prière – la prière qui supplie pour le don fondamental : ‘’Seigneur fais que je vois’’ - Seigneur, nous savons et nous pressentons que vous êtes partout autour de nous. Mais il semble qu’il y ait un voile sur nos yeux. Faites briller de partout votre universel visage ‘’ Fais briller sur nous ton visage’’. Que votre éclat profond éclaire, jusqu’aux entrailles, les obscurités massives au sein desquelles nous nous mouvons : ‘’Mets, Seigneur, ta splendeur sur nous’’. Et pour cela envoyez-nous votre Esprit, dont l’action enflammée peut seule opérer les débuts et l’achèvement de la grande Métamorphose à laquelle me ramène toute la perfection intérieure, et vers laquelle gémit votre Création ‘’Envoie ton esprit il renouvellera la face de la terre’’.
MD p 164

La pureté …c’est la rectitude et l’élan que met dans nos vies l’amour de Dieu cherché en tout par-dessus tout.
Est spirituellement impur l’être qui, s’attardant dans la jouissance, ou se reployant dans l’égoïsme, introduit, en soi et autour de soi, un principe de ralentissement et de division dans l’unification de l’Univers en Dieu.
Est pur, au contraire, celui qui, suivant sa place dans le monde, cherche à faire dominer sur son avantage immédiat ou momentané, la préoccupation du Christ à consommer en toutes choses.
Est de plus en plus pur, celui qui arrive, attiré par Dieu, à donner à cet élan, à cette traversée, une continuité, une intensité, une réalité de plus en plus grande…
La pureté des êtres se mesure au degré d’attraction qui les porte vers le Centre divin. Elle s’entretient, nous dit l’expérience chrétienne, par le recueillement, la prière, la pureté de conscience, la pureté d’intention, les sacrements…
MD p 166

Avons-nous quelque fois songé au sens du mystère de l’Annonciation ?
Quand le moment fut venu où Dieu avait résolu de réaliser à nos yeux son Incarnation, il lui fallut susciter au préalable, dans le Monde, une vertu capable de l’attirer jusqu’à nous. Il avait besoin d’une Mère qui l’engendrât dans les sphères humaines. Que fit-il alors ? Il créa la Vierge Marie, c’est-à-dire, il fit apparaitre sur Terre une pureté si grande, que, dans cette transparence, il se concentrera jusqu’à apparaître Petit Enfant.
Voilà, exprimée dans sa force et sa réalité, la puissance de la pureté à faire naître le Divin parmi nous.
MD p 168
La foi opère. Qu’est-ce à dire ? Serait-ce que l’action divine va venir, à l’appel de notre foi, se substituer au jeu normal des causes qui nous entourent ? Allons-nous attendre, comme des illuminés, que Dieu opère directement, sur la Matière ou sur nos corps, les résultats obtenus jusqu’ici par nos industrieuses recherches ?
Non, évidemment. Ni les enchaînements intérieurs du Monde matériel ou psychique, ni le devoir humain de l’effort maximum, ne sont menacés, ou seulement relâchés, par le précepte de la foi. Sous l’action transformatrice de ‘’la foi qui opère’’, toutes les liaisons naturelles du Monde demeurent intactes : mais il s’y superpose un principe, une finalité interne, on pourrait presque dire une âme de plus. Sous l’influence de notre foi, l’univers est susceptible, sans changer extérieurement de traits, de s’assouplir, de s’animer, - de se suranimer.
MD p 170
De ce deuxième mode de divinisation du Monde par la foi…nous avons déjà touché et analysé un cas particulièrement typique. En traitant des passivités de diminution, nous avons vu comment nos insuccès, nos déchéances, notre mort, nos fautes mêmes, pouvaient être, par Dieu, refondues en mieux, transformées en Lui.
Oui, entre nos mains, à tous, le Monde, la Vie sont placés comme une hostie, tout prêts à se charger de l’influence divine, c’est-à-dire d’une réelle Présence du Verbe Incarné. Le mystère s’accomplira. Mais à une condition : c’est que nous croirons que ceci veut et peut devenir, pour nous, l’action, c’est-à-dire le prolongement du Corps du Christ. – Croyons-nous ? Tout s’illumine et prend figure autour de nous : le hasard s’ordonne, le succès prend une plénitude incorruptible, la douleur devient une visite et une caresse de Dieu. Hésitons-nous ? Le rocher reste sec, le ciel noir, les eaux traitresses et mouvantes. Et nous pourrions entendre la voix du maître, en face de notre vie gâchée : ‘’O Hommes de peu de foi, pourquoi donc avez-vous douté ?’’
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Le Monde, à certains jours, nous apparait comme une chose effroyable : immense, aveugle, brutal. Il nous ballotte, nous entraîne, nous tue, sans faire attention. Héroïquement, on peut bien le dire, l’Homme est arrivé à créer, parmi les grandes eaux froides et noires, une zone habitable où il fait à peu prés clair et chaud, - où les êtres ont un visage pour regarder, des mains pour adoucir, un cœur pour aimer. Mais que cette demeure est donc précaire ! A chaque instant, par toutes les fentes, la grande Chose horrible fait irruption, - celle dont nous nous forçons à oublier qu’elle est toujours là, séparée de nous par une simple cloison : feu, peste, tempête, tremblement de terre, déchaînements de forces morales obscures, entraînent en un instant, sans égards, ce que nous avions péniblement construit et orné avec toute notre intelligence et notre cœur.
Mon Dieu, puisqu’il m’est interdit, par ma dignité humaine, de fermer les yeux là-dessus, comme une bête ou un enfant, - pour que je ne succombe pas à la tentation de maudire l’Univers et celui qui l’a fait, - faites que je l’adore en vous voyant caché en lui. La grande parole libératrice, Seigneur, la parole qui tout à la foi révèle et opère, répétez-la moi Seigneur : ‘’Ceci est mon corps’’. Vraiment la Chose énorme et sombre, le fantôme, la tempête, - si nous voulons c’est Vous ! ‘’C’est moi, ne craignez pas,’’.
Croyons seulement. Croyons d’autant plus fort et plus désespérément que la Réalité paraît plus menaçante et irréductible. Et alors, peu à peu, nous verrons se détendre, puis nous sourire, puis nous prendre dans ses bras plus qu’humains, l’universelle Horreur.
MD p 172 /173

Parce que, d’un cœur pur, nous aurons cru intensément sur le Monde, le monde ouvrira devant nous les bras de Dieu. Dans ces bras, maintenant, pour que se ferme autour de nos vies le cercle du Milieu Divin, il nous reste à nous jeter. Ce geste sera celui d’une correspondance active au devoir quotidien. La foi consacre le monde. La fidélité y communie.
MD p 173

Par la fidélité, nous nous plaçons, et nous nous maintenons si exactement dans la main divine que nous ne faisons plus qu’un avec elle dans l’exercice de son action.
Par la fidélité, nous ouvrons continuellement en nous un accès si intime aux volontés et aux bons plaisirs de Dieu que Sa Vie, comme un pain puissant, pénètre et assimile la nôtre.
Par la fidélité, enfin, nous nous trouvons situés, à chaque instant, au point exact où converge providentiellement sur nous l’innombrable faisceau des forces intérieures et extérieures du Monde, c’est-à-dire au point unique où peut se réaliser, à un moment donné, pour nous, le Milieu Divin.
MD p 174

Dieu ne se présente pas à nos êtres finis comme une Chose toute faite qu’il s’agit d’embrasser. Mais il est pour nous l’éternelle Découverte et l’éternelle Croissance. Plus nous croyons le comprendre, plus il se révèle autre. Plus nous pensons le tenir, plus il se recule, en nous attirant dans les profondeurs de Lui-même. Plus nous nous rapprochons de lui, par tous les efforts de la nature et de la grâce, plus il agrandit d’un même mouvement, son attrait sur nos puissances, et la réceptivité de nos puissances à ce divin attrait.
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A travers l’énormité du temps et la multiplicité déconcertante des individus, une seule opération se poursuit : l’annexion au Christ de Ses élus : - une seule chose se fait : le Corps mystique du Christ, à partir de toutes les puissances spirituelles éparses ou ébauchées dans le Monde : ‘’Ceci est mon corps’’. Personne au Monde ne peut nous sauver, ni nous perdre, malgré nous, - ceci est vrai. Mais ce qui est vrai, aussi, c’est que notre salut ne se poursuit et ne s’achève que solidairement avec la justification de toute ‘’la masse élue’’. Il n’y aura, en un sens vrai, qu’un seul Homme sauvé : le Christ, Chef et Résumé vivant de l’Humanité ; chacun des élus est appelé à voir Dieu face à face…
S’il en est ainsi, notre effort mystique individuel attend un complément essentiel de sa réunion avec celui de tous les autres hommes. Un, définitivement, dans le Plérôme, le Milieu Divin doit commencer à devenir un dés sa phase terrestre de notre existence….
Il lui faut réchauffer sa propre chaleur à celle de tous ces foyers, - faire communiquer sa sève avec celle qui circule dans les autres cellules, - recevoir ou propager, pour le bénéfice commun, le mouvement et la vie.
MD p 182

Impossible d’aimer le Christ sans aimer les autres…et impossible d’aimer les autres…sans se rapprocher du Christ dans le même mouvement…les Milieux Divins individuels, dans la mesure où ils se constituent, tendent à se souder les uns aux autres ; et dans leur association, ils trouvent une augmentation illimitée de leurs ardeurs. Cette conjonction inévitable s’est toujours traduite, dans la vie intérieure des Saints, par un débordement d’amour pour tout ce qui, dans les créatures, porte en soi un germe de vie éternelle…
Le passionné du Milieu Divin ne peut supporter autour de soi l’obscurité, la tiédeur, le vide, dans ce qui devrait être tout plein et vibrant de Dieu…
Il avait pu croire quelque temps que, pour toucher Dieu à la mesure de ses désirs, il lui suffisait d’étendre sa seule main, sa main à lui. Il s’aperçoit maintenant que la seule étreinte humaine capable d’embrasser dignement le Divin est celle de tous les bras humains ouverts ensemble pour appeler et accueillir le Feu. Le seul sujet définitivement capable de la Transfiguration mystique est le groupe entier des hommes ne formant plus qu’un corps et qu’une âme dans la charité.
MD p 184

Mon Dieu, je vous l’avoue, j’ai bien longtemps été, et je suis encore, hélas, réfractaire à l’amour du prochain…
Mon Dieu, faites pour moi, dans la vie de l’Autre, briller votre Visage. Cette lumière irrésistible de vos yeux, allumée au fond des choses, elle m’a déjà jeté sur toute œuvre à poursuivre, sur toute peine à traverser. Donnez-moi de vous apercevoir, même et surtout, au plus intime, au plus parfait, au plus lointain de l’âme de mes frères…
Non, vous ne me demandez rien de faux ni d’irréalisable. Mais simplement, par votre Révélation, et votre Grâce vous forcez ce qu’il y a de plus humain en nous à prendre enfin conscience de soi-même….
Une immense puissance spirituelle sommeille au fond de notre multitude, qui n’apparaîtra que lorsque nous saurons forcer les cloisons de nos égoïsmes, et nous élever par une refonte fondamentale de nos perspectives, à la vue habituelle et pratique des réalités universelles.
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-  Conclusion : l’attente de la Parousie

Pourquoi donc, hommes de peu de foi, craindre ou bouder les progrès du Monde ? Pourquoi multiplier imprudemment les prophéties et les défenses : « N’allez pas... n’essayez pas... tout est connu : la Terre est vide et vieille : il n’y a plus rien à trouver... » Tout Essayer pour le Christ ! Tout espérer pour le Christ « Nihil intentatum » ! Voilà, juste au contraire, la véritable attitude chrétienne. Diviniser n’est pas détruire, mais surcréer. Nous ne saurons jamais tout ce que l’Incarnation attend encore des puissances du Monde. Nous n’espérerons jamais assez de l’unité humaine croissante.
Lève la tête, Jérusalem. Regarde la foule immense de ceux qui construisent et de ceux qui cherchent. Dans les laboratoires, dans les studios, dans les déserts, dans les usines, dans l’énorme creuset social, les vois-tu, tous ces hommes qui peinent ? Eh bien ! Tout ce qui fermente par eux, d’art, de science, de pensée, tout cela c’est pour toi.
Allons ouvre tes bras, ton cœur, et accueille, comme ton Seigneur Jésus, le flot, l’inondation, de la sève humaine.
Reçois-la, cette sève, - car, sans son baptême, tu t’étioleras sans désir, comme une fleur sans eau ; et sauve-la, puisque, sans ton soleil, elle se dispersera follement en tiges stériles.
La tentation du Monde trop grand, la séduction du Monde trop beau, où est-elle maintenant ?
Il n’y en a plus.
La Terre peut bien, cette fois, me saisir de ses bras géants. Elle peut me gonfler de sa vie ou me reprendre dans sa poussière. Elle peut se parer à mes yeux de tous les charmes, de toutes les horreurs, de tous les mystères. Elle peut me griser par son parfum de tangibilité et d’unité. Elle peut me jeter à genoux dans l’attente de ce qui mûrit dans son sein.
Ses ensorcellements ne sauraient plus me nuire, depuis qu’elle est devenue pour moi, par delà elle-même, le Corps de Celui qui est et de Celui qui vient !
Le Milieu Divin.

M D p 201/202