Editorial des BN 27 de novembre 2013

L’annonce du cancer de Joëlle
Quand je suis sortie de la clinique après l’annonce que c’était un cancer, j’étais dans une phase de ‘’sidération ". Un calme un peu bizarre, comme quand on est assommé, plus rien ne bouge, mais on sent qu’il y a en dessous de cette glaciation apparente un tas de grouillements.

L’échelle, le jeune homme riche qui s’enfuit tout nu et l’annonce du cancer.

Je vous laisse d’abord avec Joëlle. Lorsque j’ai lu ses Bonnes Nouvelles, il était évident, que c’est elle qui devrait ouvrir ce partage du mois de Novembre.

Annonce du cancer de Joëlle

‘’Tu vas bien écrire une bonne nouvelle " me dit Jacky
« Mais oui, bien sûr, que je vais écrire une bonne nouvelle ! » je lui réponds.
M’est revenu ‘’Le désert des Tartares’’ de Dino Buzzati ; c’est un livre étudié au lycée et qui m’avait beaucoup marqué. Parce qu’il y avait une approche de la vie qui me parlait. C’est l’histoire d’un militaire affecté toute sa vie à un poste chargé de surveiller une frontière. Et toute sa vie avec ses compagnons, il se prépare et attend ‘’l’ennemi’’. Et quand l’ennemi arrive enfin, il est en train de mourir. Mais il se dit qu’en fait, le vrai grand combat c’est maintenant.
Et ça me parlait, parce que j’attendais à 15 ans, d’entrer dans le grand combat pour une cause : partir, surtout en Afrique, comme infirmière ou institutrice, c’était ma grande rêverie. En repensant à ce livre aujourd’hui, je sais qu’en fait, la grande cause, le grand combat c’est tout au long de notre vie ; ce sont toutes les victoires contre la mort en nous et autour de nous. Tout le travail intérieur de croissance.

‘’Here we are ", voilà nous y sommes ! Il va falloir monter de traviole en tirant sa charrette.

Quand je suis sortie de la clinique après l’annonce que c’était un cancer, j’étais dans une phase de ‘’sidération ". Un calme un peu bizarre, comme quand on est assommé, plus rien ne bouge, mais on sent qu’il y a en dessous de cette glaciation apparente un tas de grouillements.
Etty* est venue me rejoindre, j’ai marché avec elle jusqu’à ma voiture, elle m’a rappelé ‘’comme Ta vie est belle, mon Dieu’’… il y avait des jeunes gens qui traversaient la route, il y avait les lumières de la ville, je me suis mise à chantonner un chant de Noël.
Et quand ça commence à dégeler alors arrive la peur : de la souffrance, des séquelles de l’opération, de mourir. Tout ça ce n’est pas nouveau, en fait, mais c’est drôlement actualisé…

Courage, prenons notre épée : un coup de parole bien placé, ici, contre une angoisse de mort, un autre coup contre une panique qui monte et ‘’tchac’’, et puis couper à la racine toutes les pensées qui ont mauvais goût, du style, accusation, culpabilité, jugement. D’estoc et de taille : un coup sur le fonctionnement imaginatif et un autre sur le déni ! Revenir au réel.

Ne pas enlever les mains du torrent, les y retremper quand je les ai sorties. C’est Florin qui disait cela en parlant de Jésus enfant heureux du père : ‘’la peur, ça doit venir quand on retire ses mains du torrent’’**.

Et Teilhard qui nous parle des passivités de diminution. « Le grand triomphe du créateur, c’est d’avoir transformé en facteur essentiel de vivification ce qui est en soi une puissance d’amoindrissement et de disparition. »***
À toutes les heures sombres mon Dieu donne-moi de reconnaître que c’est Toi qui viens avec tout ce qui vient.

Merci pour tous vos mots d’affection et d’amour, tous vos gros câlins. Ils me font grand bien !
Joëlle

À l’annonce du cancer de Joëlle, j’ai associé ma tombée de l’échelle le mois dernier, où je suis presque mort et m’est venu deux pensées. D’abord, j’ai été submergé par les pleurs… Chienne de vie ! Toute une série d’épreuves de mon, notre, votre existence ont défilé à toute vitesse devant mes yeux. Quelle peine ! Quel fardeau ! Quel poids ! Pleurs, pleurs de peine ! Soulagement que de pleurer ! En même temps monte presque des rires, presque du bonheur, en tout cas de la lumière et de la chaleur. Quelle chance de vivre ! Quel cadeau de sentir, d’être vivant, de construire son existence ! Monte alors la parole de Paul : « nous sommes pressés de toute manière, mais non réduits à l’extrémité ; dans la détresse mais non dans le désespoir… abattus mais non perdus : portant toujours avec nous dans notre propre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps » 2Co4,8-10. Notre vie est tout entière dans ce mystère de mort et de résurrection, d’un amour qui va jusqu’au bout.

Dans le partage de bonnes nouvelles du mois d’octobre Joëlle nous parlait de sa découverte. Le jeune homme, qui s’échappe tout nu, au moment de la croix, dans l’évangile de Marc, en laissant le drap qui le recouvrait, est en fait le jeune homme riche venu demander à Jésus, comment entrer dans le royaume. Devant les réponses de Jésus, il s’en était reparti tout triste car il avait de grands biens. Les disciples impressionnés posent la question : « Alors qui peut être sauvé ?... Jésus dit : Aux hommes, c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu » Mc 10,27. Tout est possible à Dieu. Ce jeune homme en est la preuve. Malgré sa tristesse première, attiré de l’intérieur par celui qui l’aimait, il s’est mis à suivre Jésus, un peu comme les disciples, qui ne peuvent pas le quitter, malgré les difficultés, car lui seul a « les paroles de la vie éternelle » ! Et au moment décisif, au moment de la croix ce jeune homme, qui était riche, laisse tomber sa dernière richesse et part tout nu ! Enfin libre ! Enfin pleinement vivant ! En regardant les épreuves de notre vie, en regardant Joëlle, je vois la mystérieuse croissance de la pauvreté, de la reconnaissance et de la bonté. J’ai bien l’impression qu’il s’agit du baptême de feu dont parle Jean le Baptiste !

Vous retrouverez comme le mois dernier, après les BN personnelles, les Chroniques des Bonnes Nouvelles du Monde. Merci Joëlle pour cette collecte difficile mais combien nécessaire, mais aussi de nous partager les mouvements de ton cœur. La récolte est de taille et vaut vraiment la peine de la lire complètement. Peut-être ferez-vous la même expérience que moi ? J’ai démarré la lecture comme par un matin de brouillard et je l’ai finie dans un soleil de printemps.

* Etty Hillesum - jeune juive hollandaise morte à Auschwitz – Journal éditions du Seuil
** Florin Callerand - Mourir en vie 2 - éditions Roche d’Or p 107
*** Teilhard de Chardin – le Milieu Divin p 93 éditions du Seuil