Je suis tombé avec une échelle. J’étais à 3 mètres du sol en train de reboucher les fentes des coins du plafond de la salle de réunion. Je me sentais d’autant plus en sécurité que j’étais coincé entre le mur et une poutre. Pas une fois, je n’ai imaginé que je puisse tomber. Et c’est arrivé.
Cela s’est mis à glisser sous moi, plus rien ne tenait, je descendais à toute vitesse. Et mon cerveau automatique a essayé de me venir en aide, « en me raccrochant aux branches ». Il n’y avait pas de branche alors il a essayé de me raccrocher à la poudre en passant le bras autour, de l’autre bras, il a essayé de me raccrocher au mur. Rien n’y fait à toute vitesse, je descends en sentant mes bras se déchirer. Un grand bruit, l’échelle tombe à plat et moi aussi sur le dos. Panique. Il y a sûrement de la casse ! Les bras me brûlent, j’ai envie de vomir. Instant d’arrêt. Scanner de la tête aux pieds. Aucune douleur au crâne, au dos, je réussis à bouger jambes et bras. Grande douleur à l’intérieur des deux bras. Je m’assieds. Impression qu’il n’y a rien de casser, ma douleur vient de la peau qui est arrachée des deux côtés de l’aisselle au poignet. Je sens que je tourne de l’œil. Je me rallonge. Respire. Trois mn. Cela va. Rien de grave. Plus de peur que de mal comme on dit.
J’ai failli partir à l’improviste de cette chute d’échelle comme trois de nos amis. Deux en sont morts sur le coup au pied de leur cerisier, le troisième a plusieurs vertèbres abîmées. Cet évènement si imprévu est l’occasion de leçons importantes.
Ma première réaction a été la honte. J’étais honteux de partir dans cet état, en un clin d’œil, sans avoir préparé mon départ, sans laisser un mot à Joëlle, aux enfants et aux amis. Si vite, trop vite. Tout s’est passé en un instant. J’étais là insouciant ou plutôt préoccupé de choses sans grande importance alors que ma vie s’échappait. Je laisse trop de choses en plan. Je n’ai pas dit aussi clairement que je le souhaite ce que j’ai dans le cœur. Quel gâchis !
Après la honte, comme un éclair, une vague de reconnaissance m’envahit. Je suis gracié, un cadeau de journées supplémentaires met fait. L’air entre dans mes poumons, mes yeux voient les choses et s’emplissent de couleurs et de larmes. « La vie est si belle ». Sortant de mon hébétude, cette pièce où je suis presque mort m’entre dans la peau. « Tout est si beau ». Le parquet de chêne clair rayonne de sa Tchéquie natale, les murs chaulés de blanc se la jouent à la grecque, les gneiss, granit et quartz où je me suis râpé, étincellent comme les gemmes de la Jérusalem céleste. Au-dehors l’herbe et les feuilles verdissent de bonheur en me contemplant, les nuages filent leur neige blanche et le ciel bleuit. « Tant de beauté ». J’ai des yeux pour voir encore pour quelque temps.
Troisième leçon. Je ne suis pas fier. Je connais les procédures pour éviter les accidents dans les travaux en hauteur. J’ai participé à la prise de conscience en entreprise de ces avancées prodigieuses qui ont fait reculer les accidents du travail de façon significative. Je sais et je n’ai pas appliqué. Mais d’où cela m’est-il venu ? Savoir et ne pas faire. Distance entre les convictions et la vie réelle. Il s’agit de conversion. Il s’agit de conscience, d’intensité. Je m’engage à m’arrêter, à réfléchir un moment pour analyser le risque et décider des moyens de prévention. Si je m’étais arrêté trois mn j’aurais vu que ce parquet vitrifié n’avait pas la même adhérence que le sol en béton ! S’arrêter, respirer et vivre en conscience et responsabilité de ce que l’on a à faire.
Enfin après trois jours, alors que les estafilades de mes bras cicatrisent il me reste surtout un appel à l’intensité, car les temps sont courts. Il s’agit maintenant seulement de vivre à fond, d’être attentif à l’essentiel afin de ne pas être surpris en état d’absence ou d’oubli.
Cette livraison des Bonnes Nouvelles de la rentrée 2013 voit une nouvelle rubrique qui s’appelle : Chronique des Bonnes Nouvelles du Monde. Elle sera tenue par Joëlle. Sa mission est de faire ressortir de sa lecture quotidienne du journal, les preuves significatives que les choses avancent. Il n’est pas vrai que tout va de pire en pire. Tant de gens de par le monde travaillent pour que les choses aillent mieux, que les choses s’améliorent. Les journaux les relatent mais ces nouvelles ont rarement la Une. Il faut des yeux pour voir. Si vous avez des informations qui pourraient paraître dans cette Chronique des Bonnes Nouvelles du Monde, adressez-vous à Joëlle.